Vous trouverez ci-après un bref historique de l'Assurance Maritime. Il est extrait du Tome III du doyen Ripert, publié en 1929. Pour ceux qui souhaiteraient une histoire plus détaillée de l'Assurance Anglaise, une page spéciale est disponible ici. A noter par ailleurs dans la rubrique "Bibliographie", un ouvrage (en anglais) entièrement consacré à l'histoire des Lloyds.

 

TITRE II

 

L'ASSURANCE MARITIME

 

CHAPITRE PREMIER

 

Le Contrat d'Assurance

 

2343- Importance de l'assurance

Le commerce maritime actuel est dominé par le droit des assurances. Nous avons jusqu'ici envisagé les rapports des armateurs et des chargeurs en présence des risques maritimes. Il faut maintenant faire apparaître derrière eux ceux qui les garantissent contre les risques et supportent à leur place, les assureurs.

 

Sans doute, l'assurance des risques terrestres a eu, au XIXème siècle, un immense développement, mais malgré tout, ces assurances n'arrivent à couvrir qu'une partie assez faible des risques que nous courons. L'assurance maritime couvre presque tous les risques de mer et pour tous les intéressés. A l'heure actuelle, nul navire ne part en expédition, nulle marchandise n'est embarquée, sans que les intéressés n'aient acheté par l'assurance la sécurité nécessaire à l'exploitation de leur industrie ou de leur commerce. On pouvait trouver autrefois des esprits aventureux qui acceptaient le risque de mer ; Nul commerçant sérieux ne voudrait aujourd'hui le courir. L'assurance donne aux armateurs et aux chargeurs cette sécurité dont les hommes de ce siècle sont particulièrement épris (n° 64-66).

 

2344 - Bibliographie

L'étude de l'assurance maritime a particulièrement tenté, au XVIième et XVIIièmes, les auteurs italiens. On peut citer particulièrement : Santerna, Straccha, Saccia, et Targa. En France, au XVIIIième siècle, il faut mettre hors de pair le Traité des Assurances d'Emerigon et signaler le traité de Pothier.

Au XIXième siècle, nous pouvons citer comme ouvrages français particulièrement importants les traités d'Aluzet, de Lemonnier, de J.V. Cauvet, de Weil, de Droz, de E.Cauvet et les études particulières qui forment la plus grande partie des Questions de droit maritime publiées par De Courcy.

Nous nous contenterons de signaler parmi les ouvrages étrangers, l'œuvre capitale de Vivante en Italie, les traités de Pöhls et de Voigt en Allemagne, ceux de Marshall, de Lowndes, d'Arnould et de Mac-Arthur en Angleterre, celui de Philipps aux Etats-Unis.

 

2345Plan

Ce titre est consacré à l'étude de l'assurance maritime.

Le chapitre I retracera d'abord l'évolution et le fonctionnement de l'assurance maritime en général, puis étudiera le contrat d'assurance dans sa formation, sa preuve et ses effets.

Les deux chapitres suivants seront consacrés à la détermination des valeurs et des risques assurés.

Enfin, nous étudierons dans un dernier chapitre le règlement de l'indemnité d'assurance par l'action d'avarie et par le délaissement.

 

 

I

 

Evolution et droit de l'assurance

 

1 – Histoire de l'assurance maritime

 

2346 Double aspect de cette histoire

Pour tracer un aperçu sommaire de l'évolution de l'assurance maritime, on peut se placer à deux points de vue.

On peut, en premier lieu, marquer la date d'apparition du contrat, étudier sa généralisation, examiner la pratique des opérations d'assurance, comparer la pratique ancienne à la pratique actuelle. C'est en quelque sorte l'histoire externe de l'assurance, d'après la place que le contrat tient dans le commerce juridique et les relations sociales.

On peut, en second lieu, essayer d'établir comment le même type de contrat, dénommé de façon identique, a pu couvrir des relations juridiques diverses, comment l'idée d'assurance a évolué, comment dans son fonctionnement le contrat s'est transformé. C'est alors faire l'histoire interne de l'assurance.

 

Un exposé rigoureusement historique devrait présenter ces deux aspects intimement unis. Nous les séparerons pourtant dans la mesure du possible, afin de donner une idée plus nette de cette institution complexe.

 

2347 - Création de l'assurance maritime

L'assurance maritime est le seul type d'assurance que notre ancien droit ait connu. Le XIXième siècle a vu une floraison merveilleuse d'innombrables variétés d'assurances. Les unes remontent aux premières années du siècle, touchent presque la fin du précédent, les autres sont de création toute récente. Quelle que soit leur date de naissance, toutes ces assurances sont de jeunes contrat à côté de l'assurance maritime. A une époque où les hommes subissaient les coups du sort sans chercher à se garantir contre la mauvaise fortune des incendies ou des accidents, les propriétaires de navires et les commerçants, perpétuellement exposés aux risques de mer qui brisaient leurs bâtiments et engloutissaient leurs marchandises, avaient songé à se couvrir contre ces fortunes ennemies. Au XVIième siècle, un commerce maritime prospère nous présente une pratique constante de l'assurance.

Les anciens auteurs, Grotius, Puffendorf, par exemple, faisaient du droit romain l'honneur de l'invention du contrat d'assurance. C'est une opinion aujourd'hui complètement abandonnée. Lorsque l'institution s'est généralisée, on a pu songer à lui appliquer certains textes du droit romain, mais ces textes n'ont pas été écrits pour un contrat alors ignoré. Les romains ont pratiqué une autre forme contrat aléatoire, le nauticum faenus (n°1018). Ce prêt à retour du voyage a pour eux tenu lieu partiellement de l'assurance. Mais il présente sur elle ce grave inconvénient pratique que le prêteur doit avancer l'indemnité, restituée au cas d'heureuse arrivée. Cette remise anticipée prouve bien que le nauticum faenus était avant tout un contrat de prêt. On trouve aussi, en droit romain, des traces d'un contrat conditionnel où l'arrivée du navire à bon port sert de condition (si navis ex Asia venerit), mais ce n'est pas le risque qui est l'objet principal de ce contrat.

C'est seulement dans la seconde moitié du Moyen Age que le contrat d'assurance arrive à la vie juridique. Il se dégage lentement d'autres contrats où il est enfermé. On a pris en effet l'habitude de faire dans les contrats une stipulation particulière sur le risque de mer : ou bien le contractant prend le risque à sa charge et déclare que les marchandises seront rendues saines et sauves à destination, ou bien il décline toute responsabilité et le contrat est fait alors "ad risicum et fortunam Dei, mairis et gentium". La clause sana eunte navi devient d'une pratique courante dans le prêt et dans la vente. Lorsque l'on eut ainsi l'habitude d'envisager les contrats sous leurs deux variétés, avec ou sans risques de mer, le risque de mer devint un élément appréciable. Il fut envisagé comme élément principal d'une stipulation. Le contrat qui porte sur le risque, c'est l'assurance, d'abord attachée à l'affrètement. Conclue en même temps que le transport, elle s'en sépare vite, et arrive alors à une vie juridique indépendante.

La date exacte de cette création reste incertaine. Ni le Consulat de la mer, ni les Rôles d'Oléron ne font allusion à l'assurance. Le contrat était donc inconnu au XIIième et XIIIième siècles. D'autre part, on trouve au XVIième siècle une réglementation législative de l'assurance, notamment l'Ordonnance de Barcelone de 1435, l'Ordonnance de Philippe de Bourgogne de 1458, le statut de Gênes de 1498. On peut donc placer l'origine de l'assurance vers le XIVième siècle. On a soutenu qu'elle avait été inventée par les Flamands, les Espagnols, les Portugais, les Juifs chassés de France sous Philippe le Long et établis en Italie. Tout cela est pure conjecture. Peut-être, sous l'influence de besoins identiques, le contrat a-t-il été pratiqué vers la même époque dans des pays différents. On ne peut lui donner un acte de naissance. Mais il paraît bien démontré qu'il a été surtout pratiqué par les villes italiennes. M. Bensa a trouvé des contrats d'assurance dans les livres des négociants florentins et génois dès les premières années du XIVième siècle.

 

2348 - Réglementation de l'assurance

A partir de la seconde moitié du XIVième siècle, le contrat d'assurance dégagé du contrat d'affrètement, rédigé par écrit et constaté par la police, se développa rapidement, et la pratique commerciale y introduit des clauses usuelles qui, pour partie, forment encore aujourd'hui le droit de l'assurance.

Dès la fin du XIVième siècle, on trouve en Italie une réglementation municipale de l'assurance. Les statuts de Gênes et de Florence viennent prohiber l'assurance des marchandises et des navires étrangers et frapper le contrat d'une taxe. Mais les plus célèbres documents sur ce point, ce sont les ordonnances de Barcelone, dont la première date de 1435. Elles ne s'occupent pas seulement de prohiber l'assurance au profit des étrangers, mais réglementent aussi la validité et les formes du contrat et la pratique du courtage.

L'assurance maritime dut pénétrer en France au XVIième siècle, mais c'est seulement au XVIième, dans le recueil d'usages appelé Guidon de la mer (n°88), qu'il en est question pour la première fois.

La ligue hanséatique pratiqua et réglementa l'assurance. Elle l'introduisit en Angleterre où les hanséates formèrent une colonie jusqu'à leur expulsion par Elisabeth en 1578. Les banquiers lombards les remplacèrent, perfectionnèrent l'assurance et exercèrent une énorme influence en Angleterre jusqu'au jour où ils furent chassés par les anglais devenus assez forts pour se passer des étrangers.

 

2349 - Les assureurs

Avant l'apparition du contrat d'assurance, les risques de mer faisaient déjà l'objet des stipulations des parties : ils étaient pris en considération dans le prêt à la grosse aventure, dans les avaries communes, dans le contrat conditionnel de vente ou de prêt.

Peut-être aussi y a-t-il eu dans certains cas assurance mutuelle entre armateurs d'un même port, pratiquant la navigation de conserve. Mais, quand l'assurance se développa, on vit des contrats dont l'unique objet était de faire supporter par un assureur les risques de mer. Cet assureur opérait dans un port pour les navires qu'il connaissait et les marchandises qu'il pouvait vérifier. Pourtant le contrat aléatoire qu'il passait ressemblait singulièrement au jeu. Targa déclare : "Le gain dépend du hasard ; que celui qui assure se recommande à Dieu".

Ces assureurs isolés, opérant dans un seul port et pour des navigations semblables, sentirent vite le poids de leur isolement. Sans renseignements suffisants sur l'état des navires et les dangers de l'expédition entreprise, exposés à voir une même fortune de mer leur infliger des pertes considérables, ils étaient livrés au coup du sort. L'assurance n'avait fait que déplacer les risques. Les assureurs désireux de diminuer ces risques se réunirent pour se communiquer les renseignements qu'ils avaient sur les navires proposés. Les deux plus célèbres de ces cercles d'assureurs ont été le cercle de Florence (1522-1528), qui avait ses statuts et élisait ses magistrats, et surtout la réunion de la taverne de Tower Street tenue par Edward Lloyds, première origine du Lloyd anglais, qui devait avoir une vie brillante (n°323).

Ces réunions permirent aux assureurs de traiter dans des conditions plus précises par une évaluation plus exacte des risques. Mais chaque assureur opérait ensuite pour son compte personnel. Il risquait à chaque instant d'être atteint par une série de sinistres. L'activité de son commerce se concentrait nécessairement sur des expéditions maritimes partant d'un même sort à destination des mêmes mers. Une tempête, une guerre atteignant plusieurs de ces expéditions entraînait la ruine et la faillite de l'assureur.

 

2350 - Les compagnies d'assurances dans l'ancien droit

Au début du XVIIième siècle, les guerres maritimes causèrent à l'armement des dommages si sérieux que bon nombre d'assureurs firent des faillites retentissantes. Le commerce maritime sentit impérieusement le besoin d'augmenter la solvabilité de l'assureur. Alors se créent des sociétés privilégiées, autorisées par décret, qui se proposent le commerce des assurances. Les décrets d'institution visent tous la nécessité de protéger l'assuré contre la faillite de l'assureur.

Un édit du 21 mai 1686 donna privilège pour Paris seulement à une compagnie appelée Chambre générale d'assurance, crée avec un fonds social de 300 000 livres. Cette Chambre fut autorisée pour six ans. Valin indique qu'elle dura peu de temps, mais qu'il s'en forma d'autres. La plus célèbre fut la chambre de 1750 qui ressemblait par son fonctionnement à nos sociétés modernes et qui existait encore en 1789.

En Angleterre, Georges Ier accorda en 1720 à deux compagnies, la London Assurance Corporation et la Royal Exchange Assurance Corporation, le monopole de l'assurance, à l'exclusion de toute autre compagnie, mais en concours avec les assureurs isolés, unis par Lloyd. Leur privilège dura jusqu'en 1826.

On vit de même des compagnies privilégiées se former à Copenhague en 1746, à Gênes en 1741, à Stockholm en 1750, quelques-unes par la transformation de cercles d'assureurs.

Pendant longtemps il y eut lutte entre les compagnies privilégiées et les assureurs isolés. La lutte fut particulièrement vive en Angleterre. Les assureurs du Lloyd combattirent les compagnies à charte, se constituèrent en cercle d'assureurs et obtinrent une reconnaissance officielle. Puis, par un singulier revirement, ils finirent par devenir les protecteurs des deux compagnies privilégiées, pour éviter qu'il ne s'en créât de plus actives. Ils ne réussirent pas d'ailleurs à éviter cette création, et plus tard, le Lloyd du ouvrir ses portes aux compagnies.

En France, les assureurs isolés ont lutté moins longtemps, car ils n'étaient pas protégés par un cercle aussi puissant que le Lloyd, mais jusqu'au commencement  du XIXième siècle ils sont restés les maîtres du marché, exerçant activement leur industrie, pleine de risques sans doute, mais susceptible de leur assurer des bénéfices considérables. Dans le premier tiers du siècle dernier, il y avait encore dans les grands ports des négociants faisant le commerce des assurances. La constitution toujours plus puissante des grandes compagnies et la transformation de la navigation maritime par la vapeur les ont définitivement écartés.

 

2351 - Les grandes compagnies du XIXième siècle

La création des grands compagnies modernes remonte à l'époque de la restauration. La Compagnie royale (aujourd'hui la Nationale) et les Assurances générales furent autorisées par Ordonnance Royales. Ces compagnies ont accaparé très vite le commerce des assurances maritimes. Elles offraient aux assurés l'avantage d'une solvabilité hors de pair ; elles étaient seules en mesure de garantir la perte d'unités devenues tous les jours plus importantes et plus coûteuses. Devant elles, les assureurs isolés furent obligés de battre en retraite, et le même phénomène s'est produit dans tous les pays.

Les grandes compagnies eurent pendant longtemps une situation florissante. Elles distribuaient à leurs actionnaires des dividendes important. Elles arrivèrent à leur apogée de 1854 à 1860, à l'époque de la guerre de Crimée et du développement de la navigation à vapeur qui diminua les risques.

A partir de 1860, le déclin commence. L'appât de gains faciles avait amené la constitution d'un grand nombre de sociétés. Elles se disputèrent la clientèle par le rabais des primes. En même temps, la construction des navires à vapeur fut moins soignée et quelquefois franchement vicieuse ; l'application au long cours de ce genre de navigation augmenta les risques ; la pratique des polices flottantes mit l'assureur dans l'impossibilité de contrôler l'armement et de vérifier les valeurs assurées. Les sinistres se multiplièrent, involontaires ou provoqués. L'amirauté anglaise fût obligée d'intervenir en 1870. En 1874, la crise devint intense ; les assureurs réunis en congrès décidèrent de relever les primes. On obtint un résultat passager mais l'entente ne pût durer.

Pour résister à la crise, les compagnies qui se constituèrent se formèrent avec un capital social très élevé, et ces grandes sociétés absorbèrent les petites sociétés locales qui ne purent pas plus résister que les assureurs isolés ne l'avaient pu ; leur capital disponible ne leur permettait pas un chiffre d'affaires suffisant pour contrebalancer le taux réduit des primes. En 1870, il y avait en France 38 sociétés d'assurances maritimes ; en 1880,on n'en comptait plus que 20 ; en 1912 que 17. Ce nombre a fortement augmenté après 1914, mais il n'a pas tardé à diminuer de nouveau. Le même phénomène de concentration se produit dans les pays étranger : les grandes sociétés survivent seules ; la concentration du commerce des assurances augmente toujours.

Ces compagnies puissantes n'ont plus en France leur siège dans les ports de mer ; elles siègent à Paris d'où elles exercent leur influence sur la France et sur l'étranger. Car le champ d'action de ces compagnies n'est pas restreint au pays qui leur donne la nationalité ; il s'étend au pays étrangers, et réciproquement les compagnies d'assurances étrangères font des affaires en France. On voit des pays sans marine, comme la Suisse, pratiquer le commerce des assurances maritimes.

D'autre part, le nombre des compagnies pratiquant exclusivement l'assurance maritime tend à diminuer. La plupart pratiquent plusieurs genres d'assurances. En Angleterre, la plupart des compagnies font aujourd'hui partie d'un composite office et celles pratiquaient l'assurance maritime sont tombées sous le contrôle d'un groupe.

 

2352 - Comité des assureurs maritimes

Malgré leur puissance, les grandes compagnies ont éprouvé le besoin de se grouper pour éviter des frais et régler les intérêts communs. Elles ont fondé à Paris le Comité des assureurs maritimes qui les réunit presque toutes. Ce comité ne constitue ni une société traitant en son nom, ni un syndicat placé sous l'application de la loi de 1884. Chaque compagnie conserve son indépendance. Le comité joue un triple rôle :

 

1° Il entretient des agents dans les différents port. Ces agents préviennent les assureurs des sinistres dont ils ont connaissance, procèdent aux expertises contradictoires avec le capitaine, prêtent le crédit et leurs capitaux pour les mesures utiles.

2° Il règle la contribution des compagnies débitrices en cas de sinistre lorsque plusieurs assureurs sont intéressés dans ce sinistre : On dit qu'il fait la dispache.

3° Enfin, il intervient dans l'intérêt des assureurs sur toutes les questions qui intéressent la profession, notamment dans les contestations judiciaires entre assureurs et assurés.

A Bordeaux, Marseille et au Havre existent en outre des comités d'assureurs maritimes locaux.

 

2352 bis – Ententes entre assureurs

D'autre part, les assureurs ont créé en 1920, l'Union des syndicats des compagnies d'assurance contre les risques de transport et depuis cette date arrêtent en commun les conditions auxquelles sont prises les assurance maritimes : elles ont même obtenu des syndicats anglais le respect de ces conditions.

Il y a en Angleterre deux associations célèbres d'assureurs qui ont leur siège à Londres. La Lloyd's Underwriter Association qui compte une centaine d'assureurs et The Institute of London Underwriters, moins nombreux. A Glasgow, Liverpool, Manchester, et Bradford existent des associations locales. Dans presque tous les pays, les assureurs sont groupés en associations ou comités. Le Lloyd est de beaucoup la plus célèbre de ces ententes.

Les ententes nationales sont insuffisantes pour régler certaines questions qui intéressent toutes les compagnies d'assurances. Les assureurs tiennent des congrès internationaux pour étudier la défense de leurs intérêts professionnels et l'amélioration du droit de l'assurance.

En 1874, il a été créé entre seize compagnies l'Union internationale des assurances transports. Elle comprenait les sociétés allemandes, autrichiennes, russes et suédoises. En 1913 elle comptait 114 membres et 23 pays et en 1925 230 membres de 26 pays. Mais il y a peu d'adhérents en Angleterre. Cette Union une revue et tient chaque années une conférence internationale. Elle s'efforce d'établir les conditions générales auxquelles les assureurs peuvent accepter les risques. Elle tâche aussi d'enrayer la concurrence que se font les assureurs en prescrivant aux compagnies le respect de leur compétence territoriale.

 

2353 – Assurances mutuelles

Les grandes compagnies d'assurance ont presque fait disparaître en France les société d'assurances mutuelles qui ont existé autrefois. Elles avaient sur les assureurs isolés, l'avantage d'une plus grande solvabilité, et elles empêchaient la hausse arbitraire et excessive des primes que les grandes compagnies auraient pu tenter. Cette forme d'assurance était particulièrement employée par des intéressés courant des risques semblables pour des valeurs égales : ainsi elle était pratiquée autrefois par les pêcheurs de Terre Neuve. Aujourd'hui, le développement de la navigation à vapeur, la diminution du nombre des unités, l'importance et la diversité des navires, la fréquence des voyages rendent les mutuelles difficiles. Elles ont dû se transformer en sociétés à primes fixes. Elles ont eu alors beaucoup de peine à lutter contre les grandes compagnies qui, par la diminution de leurs frais généraux, sont arrivées à consentir des primes aussi réduites. La concurrence acharnée que se font les sociétés évite d'ailleurs la surélévation arbitraire du taux des primes.

En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, les assurances mutuelles ont subsisté et sont florissantes. La marine anglaise compte un si grand nombre de bâtiments qu'elle peut fournir une clientèle à tous les assureurs. Peut-être aussi cette forme réussit-elle bien aux armateurs anglais qui font preuve de discipline et de solidarité plus que tous autres. Ils ont pris l'habitude de couvrir par l'assurance mutuelle les risques que les polices ordinaires ne couvrent pas (n°2382). Les armateurs français ont adhéré à ces clubs anglais et il est regrettable de constater qu'ils n'ont pu arriver à une entente pour créer en France une mutuelle qui garantissait ces risques.

 

2354 – Importance actuelle de l'assurance maritime.

Les grandes compagnies ayant absorbé tous les assureurs et toutes les sociétés locales, voient leur chiffre d'affaires s'accroître sans cesse. L'augmentation constante du commerce maritime entraîne avec lui une augmentation constante des assurances. En 1912, les compagnies françaises ont encaissé plus de 26 millions de primes et elles ont payé près de 20 millions de sinistres. En 1926 elles ont encaissé 97 millions de primes et payé près de 70 million de sinistres. Ces chiffres donnent une idée de l'importance des transactions.

En 1912, pour 108 compagnies d'assurances européennes, le montant des primes brutes était de plus de 500 millions et le montant des primes nettes de 260 millions.

Pourtant, les assureurs ne sont pas très satisfaits des résultats obtenus. Ils se plaignent de l'abaissement du taux des primes par l'acharnement de la concurrence et aussi des fraudes nombreuses. Cette branche du commerce des assurances est devenue aujourd'hui moins avantageuse que les autres.

Pendant la guerre, les compagnies d'assurances ont tout d'abord manifesté une prudente réserve. Puis elles ont réalisé d'importants bénéfices sur les risques de guerre et des sociétés nouvelles ont été créées. Beaucoup d'entre elles n'ont pas résisté à la crise économique qui a suivi le retour à la paix, et de nouveau, les plaintes des assureurs se sont fait entendre.

Il n'en est pas moins vrai que l'assurance maritime est aujourd'hui aussi répandue qu'elle peut l'être. Des moyens fort ingénieux ont été employés pour la rendre plus facile et plus prompte. Elle a donné la sécurité au commerce maritime et elle s'est pliée à la rapidité des ses opérations.

Tous les navires, toutes les marchandises qui voyagent sur mer sont assurés.

Il faut pourtant signaler une certaine cause de régression de l'assurance maritime : c'est l'extrême concentration de l'armement. Le jour où de grandes sociétés d'armement envoient dans toutes les mers un grand nombre de navires, ces sociétés, pour qui existe une division naturelle des risques, peuvent être leur propre assureur. Il leur suffit de constituer un fonds de réserve, alimenté par des versements annuels représentant les primes qu'elles auraient dû verser. Elles puisent dans ce fonds de réserve pour remplacer les unités disparues et réparer les navires. Certaines compagnies françaises ont adopté cette pratique, mais seulement pour partie. Quelques unes font assurer leur navire uniquement contre la perte totale, gardant pour elles le risque des avaries.

 

2355 – Assurance par l'Etat

Le monopole des assurances par l'Etat a été proposé dans le but de créer des ressources fiscales, mais il n'a jamais été sérieusement question de ce monopole pour les assurances maritimes, dont l'exploitation a un caractère commercial accentué. Toutefois, pendant la guerre de 1914, il a été fait une application intéressante de l'assurance d'Etat aux risques de guerre. Un décret du 13 août 1914, modifié tout d'abord par deux autres décrets, puis converti en loi, et malgré cela modifié encore par un troisième décret, puis par deux lois successives, vint établir en France l'assurance par l'Etat et créer au ministère des Finances une Commission d'assurances contre les risques de guerre.

En établissant cette assurance, l'Etat ne poursuivait pas un but commercial. Il voulait remédier à la défaillance momentanée des assureurs qui hésitaient à prendre des risques.

L'Etat s'était d'ailleurs engagé à ne pas conserver les bénéfices réalisés sur ces primes.

En fait, tant que l'assurance a été facultative, la Commission d'assurance n'a pas réalisé de bénéfices. L'Etat a été pourtant amené à étendre la garantie primitivement accordée aux navires français, aux navires alliés et neutres naviguant au profit du ravitaillement français.

La loi du 19 avril 1917 est venue rendre obligatoire l'assurance des risques de guerre pour les navires de 500 tonneaux de jauge brute et au-dessus. Devenue obligatoire, l'assurance d'Etat a donné de biens meilleurs résultats financiers. Les risques ont été divisés en un grand nombre d'unités ; l'Etat a eu de la chance dans les risques assurés et la Commission, dans la seconde partie de son existence, a réalisé des bénéfices. La loi 8 octobre 1919 a supprimé l'assurance obligatoire et la Commission a cessé d'accepter ces risques de guerre.

Il est difficile de juger cette exploitation temporaire faite par l'Etat au point de vue commercial, puisque le but poursuivi était d'assurer le ravitaillement national. Le but a d'ailleurs été atteint, et les compagnies d'assurance reprenant confiance ont aussitôt réalisé sur les risques de guerre d'excellentes opérations.

Dans les pays étrangers, l'assurance par l'Etat a été également pratiquée pendant la guerre. Dans certains pays, notamment en Angleterre, l'Etat a pratiqué la réassurance, ce qui était peut-être préférable.

 

2 – Evolution de l'assurance

 

2356 – Double aspect de cette évolution

Pour retracer l'évolution interne de la notion et du contrat d'assurance maritime, il faut se placer à deux points de vue. D'une part, le contrat d'assurance est un contrat d'indemnité, bien que le but économique du contrat n'ait pas toujours été le même et que la formule ait reçu suivant les époques des interprétations différentes. D'autre part, ce contrat, ayant une utilité toujours plus grande, s'est adapté aux nécessités du commerce maritime. Il faut donc examiner l'évolution à la fois au point de vue du caractère interne et de l'étendue d'application du contrat.

 

2357 – A; Caractère indemnitaire de l'assurance

Historique

Le contrat d'assurance a eu quelques peines à arriver à une vie juridique indépendante. Même lorsqu'il a été connu et pratiqué, il s'est différencié difficilement du prêt à la grosse, qu'Emerigon appelle son "frère jumeau". A la fin du XVIIIe siècle, les deux contrats sont souvent présentés en même temps. Le contrat d'assurance a pourtant un caractère bien net, en ce qu'il a pour objet un risque maritime. Le but du contrat, c'est opérer un déplacement de risques conventionnel. Les parties concluent un contrat aléatoire : l'armateur préfère un sacrifice immédiat à l'éventualité d'une perte considérable ; l'assureur préfère une somme d'argent immédiate et accepte l'éventualité d'une perte. Le contrat conclu, les parties attendent le hasard qui déterminera le gagnant. Targa avait raison de dire : "le gain dépend du hasard".

Il est vrai que jamais les assureurs ne se sont complètement fiés à un heureux hasard. Ils ont cherché dans leurs cercles à obtenir des renseignements exacts sur les navires assurés ; ils ont même développé leurs connaissances techniques et fait eux-mêmes les vérifications nécessaires ; ils ont varié les contrats conclu pour diviser les risques. Ce choix des opérations est une atténuation au caractère aléatoire du contrat. Mais tout d'abord, c'est, en fait, une assez faible atténuation ; l'assureur doit souvent compter sur sa chance, et dans les anciennes polices il commence par invoquer la protection des saints. Et puis, il n'y a là qu'une atténuation de fait sur un ensemble de contrats ; pour chaque contrat pris séparément, le caractère aléatoire est très accusé.

 

2358 - Le jeu ou pari

Une telle opération ressemble beaucoup à un jeu ou plus exactement à un pari. Les anciens auteurs l'ont si bien compris qu'ils ont beaucoup insisté sur ce point. Ils ne pouvaient confondre l'assurance avec le jeu sur fortune de mer . c'eût été perdre le contrat nouveau.  Alors ils ont multiplié les raisonnements et les arguments pour distinguer nettement l'assurance du jeu et du pari.

L'assuré, disent-ils, ne peut être considéré comme un joueur puisqu'il ne peut jamais réaliser de bénéfice : il ne cherche pas à jouer, mais simplement à ne pas perdre. Et c'est alors que l'on donne cette formule : l'assurance est un contrat d'indemnité.

La législation intervient pour lui conserver ce caractère. Ainsi, l'ordonnance de Barcelone de 1435 ne permet pas d'assurer navire et marchandises pour plus des trois quarts de leur valeur, afin que l'assuré ait intérêt à éviter la perte, et elle force les assurés à signer une déclaration sous serment qu'ils sont propriétaires des biens assurés et qu'ils ne les ont pas déjà fait garantir par un autre assureur. Des règles semblables existaient ailleurs et l'Ordonnance de Colbert de 1681 contient une réglementation de l'assurance inspirée par cet esprit.

Nos anciens auteurs négligeaient volontairement d'envisager le contrat du point de vue de l'assureur. Au cas de perte ou d'avarie du navire, l'indemnité versée à l'assuré apparaît bien comme la contre partie de la perte ou de l'avarie, mais, en cas d'heureuse arrivée du navire, l'assuré touche une prime qui n'a jamais figuré dans son patrimoine et il la touche sans rien donner échange. Comme son gain dépend uniquement du hasard, il semble bien que l'assureur joue la prime.

Rien de plus exact. Dans tout contrat aléatoire, il y au jeu. Mais la vérité, c'est que le jeu n'a en lui-même rien d'immoral. Il est toléré par la morale et dans certains cas par la loi. Si, normalement, il ne donne lieu à aucune action civile, c'est uniquement à cause de son caractère anti-social. Il n'offre aucune utilité et il peut être nuisible. La loi n'a donc pas à le reconnaître. Si on découvre au contraire des jeux ou des paris qui présentent une utilité sociale, il faut s'empresser de les admettre dans la vie juridique. Voilà pourquoi les anciens auteurs s'efforcent toujours de démontrer que l'assurance n'est pas un jeu pour l'assuré. L'utilité que présente l'acte pour l'assuré le légitime alors même qu'il est un jeu pour l'armateur.

 

2359 – Le Code de Commerce

Le Code de Commerce est très attaché à cette idée que le contrat d'assurance ne peut jamais que remplacer pour l'assuré une valeur disparue dans la fortune de mer. Il se montre pourtant plus large que les anciennes coutumes et que l'Ordonnance ; elles ne permettaient pas à l'assuré de garantir la valeur totale des objets soumis aux risques, afin de l'intéresser à la conservation et au sauvetage de ces objets. Le Code de Commerce permet l'assurance pour la valeur totale, mais l'indemnité ne doit compenser que la perte matérielle éprouvée. Elle doit venir prendre dans le patrimoine la place de l'objet disparu ou avarié. C'est une condition nécessaire pour que l'assurance conserve son principe indemnitaire.

            Par application de ce principe, le Code de Commerce permet d'assurer le navire pour sa valeur au port de départ et les frais d'armement exposés par l'armateur ; mais il ne permet pas d'assurer le fret perdu par le sinistre, parce que le fret n'était pas encore entré, au moment du sinistre, dans le patrimoine de l'armateur. Il permet d'assurer les marchandises pour leur valeur au port de départ, mais il ne permet pas d'assurer le profit espéré de la vente de ces marchandises, parce que ce n'est pas une créance éventuelle. Enfin, il n'autorise pas l'assurance sur la vie des personnes parce que la vie humaine n'est pas susceptible d'appréciation matérielle et que l'indemnité versée ne représenterait pas un valeur disparue.

            Tout cela montre le grand désir de ne pas voir l'assurance dégénérer en un jeu ou un pari sur fortune de mer. Mais cette sévérité législative ne prouve qu'une seule chose : c'est que l'on comprend combien il est difficile de ne pas glisser ver le jeu. Et encore le Code regarde t'il obstinément du côté de l'assuré et néglige-t-il volontairement d'envisager le commerce des assurances, source de profits dus au hasard et encaissés par les assureurs.

 

2360 Le calcul des risques

Or, aujourd'hui, si on se place au point de vue de l'assureur, on constate que l'assurance a perdu son caractère aléatoire. Cet aspect nouveau des opérations d'assurances est dû au calcul et à la répartition des risques.

Le calcul des risques a fait d'énormes progrès. Autrefois, les primes étaient fixées d'après l'usage et non déterminées rationnellement. Il y a aujourd'hui un rapport exact entre la prime et le risque. Les navires sont classés et surveillés ; les sociétés de classification leur délivrent une côte (n° 328). Cette côte sert de base à tous les contrats d'assurance. D'autre part, les risques ont diminué ; la navigation à vapeur a atténué les dangers du voyage ; les guerres maritimes sont rares, et la propriété des neutres était autrefois respectée. Enfin, les navires se sont spécialisés comme genre de navigation et instruments de transport, et l'on a pu calculer de façon plus exacte les risques causés par chaque unité.

Toutefois le calcul scientifique des primes est moins facile dans l'assurance maritime que dans d'autres branches d'assurance, l'assurance vie par exemple, parce que ces assurances modernes portent sur des cas beaucoup plus nombreux et sur des évènements plus réguliers en moyenne.

Dans l'assurance des navires, le petit nombre relatif des unités, la grande valeur de certaines unités, l'irrégularité des risques de mer nuisent à la rigueur des calculs.

 

2361 La répartition des risques

Mais les compagnies d'assurance sont arrivées tout de même à supprimer l'aléa des opérations entreprises grâce à la multiplication et à la division des risques en cours.

Au fur et à mesure que leurs opérations s'étendent, la variété plus grande des risques courus les met à l'abri d'une catastrophe imprévue. Elles n'opèrent plus, comme autrefois les assureurs isolés, dans un seul port et pour des expéditions analogues. Elles assurent des navires de types variés, effectuant les navigations les plus diverses dans des régions bien différentes ; elles assurent les marchandises de toute provenance et pour toute destination. Un seul événement malheureux n'atteint qu'une faible partie des valeurs assurées.

En second lieu, les société d'assurance ont une très grande longue vie. Elles peuvent répartir les risques sur toute la durée de leur existence. Les bonnes années compensent les mauvaises. Là où un assureur  isolé succomberait faute de capitaux, elles résistent et finissent à la longue par récupérer les indemnités déboursées. Les sociétés constituent dans ce but une fonds de réserve par prélèvement sur les primes, et puisent dans ce fonds de réserve en cas de sinistre trop graves ou trop fréquents.

Enfin, les sociétés d'assurances limitent leur responsabilité éventuelle. Elles se créent une limite qu'elles ne dépassent pas, un plein, et il est alors facile de calculer l'importance que doit atteindre le fonds de réserve. Sans doute cette restriction pourrait être gênante pour les sociétés si elles devaient refuser les affaires au delà de leur plein. Mais elles ont trouvé le moyen pratique de tout accepter sans jamais être tenues au delà d'un certain chiffre. Elles s'assurent elles-mêmes à d'autres sociétés pour tout l'excédent de leur plein. C'est l'importance pratique de la réassurance (n°2583 et s).

Le résultat de cette transformation, c'est que l'assurance a cessé d'être un jeu. Le total des primes versées chaque années correspond au total des indemnités payées aux assurés et au paiement des frais généraux. Une légère majoration des primes donne un bénéfice à l'assureur. La division et la répartition des risques est telle que chaque année le chiffre total des primes versées lui laisse mathématiquement un bénéfice. Sans doute, chaque contrat envisagé en lui-même est une source de bénéfices ou une cause de pertes. Mais l'assureur n'envisage pas les contrats individuellement. Il n'a jamais intérêt à les refuser ; il les accepte souvent sans connaître les objets assurés. Chaque contrat se fond dans l'ensemble des opérations. Sans doute aussi ces opérations sont, suivant les années, plus ou moins fructueuses, mais c'est le sort de tout commerce. L'assureur n'est pas plus un joueur que tout autre commerçant. Il vend la sécurité à prix fixe, comme un négociant vend une denrée quelconque.

 

2362. - L'intérêt de l'assuré. - Lorsque l'assurance a perdu par rapport à l'assureur son caractère de jeu ou pari sur fortune de mer, l'attention des juristes s'est de nouveau tournée du côté de l'assuré. On s'est aperçu que dans le désir de séparer l'assurance du jeu, le Code de commerce s'était; vraiment montré trop strict. Il a considéré, bien à tort, que l'assurance ne peut que combler les vides déjà produits dans le patrimoine de l'assuré. C'est une conception trop matérielle des choses. La perte est tout aussi réelle lorsque l'assuré est privé par le sinistre du profit sur lequel il pouvait légitimement compter. Si on veut véritablement indemniser l'assuré, il faut lui permettre de faire garantir le profit qu'il retirera de l'expédition.

La loi du 12 août 1885, qui a remanié un assez grand nombre de textes du Code de commerce, est venue, conformément à cette idée, transformer la conception de l'assurance. Cette loi a permis à l'armateur de faire assurer le fret ; elle a permis au chargeur ou au destinataire de faire assurer le profit espéré de la vente des marchandises. Depuis 1885, l'armateur retrouve, malgré le sinistre, tout le bénéfice qu'il escomptait de l'expédition maritime, le propriétaire des marchandises tout le bénéfice qu'il escomptait de la vente.

On continue à dire que l'assurance maritime est un contrat d'indemnité. Mais cette formule a pris un sens nouveau. Indemniser l'assuré, c'était autrefois lui restituer les valeurs matériellement perdues; c'est aujourd'hui effacer dans son patrimoine les conséquences (lu sinistre. L'assuré est placé dans la même situation que la victime d'un accident qui peut réclamer à la fois le damnum emergens et le lucrurrt cessans. Mais il ne peut obtenir une indemnité plus fonte que la valeur de l'objet assuré ; il ne peut toucher deux indemnités pour la même valeur sinistrée ; il ne peut assurer des objets dont la perte ne l'intéresserait pas. La conception indemnitaire a conservé toute son importance. Elle est plus largement entendue, mais elle demeure.

2363. - Affaiblissement du caractère indemnitaire. - Pourtant, on connaît aujourd'hui des assurances qui ne sont pas des contrats d'indemnité. L'assurance sur la vie n'a pas le caractère indemnitaire ; c'est une capitalisation aléatoire, dénoncée autrefois comme un jeu sur la vie des hommes, et aujourd'hui universellement admise. L'assurance contre les accidents n'a pas non plus forcément le caractère indemnitaire, car on ne se préoccupe pas du rapport réel entré l'indemnité stipulée et le préjudice causé par la mort ou l'accident. D'une façon générale, toutes les fois que le contrat fixe une indemnité forfaitaire au cas de sinistre, il est susceptible dé, perdre le caractère indemnitaire si l'importance du sinistre est moindre que l'indemnité stipulée.

1° Dans la forme moderne de l'assurance maritime, il y a presque toujours une évaluation des objets assurés. On évalue le navire, les marchandises, le profit espéré dans la police, d'où le nom de police évaluée (valued).

S'il y a assurance du navire, l'assureur doit au cas de sinistre payer les avaries et la perte d'après la valeur agréée du navire. Le Contrat passé entre les parties fait foi de la valeur du navire ; il y a acceptation volontaire de l'évaluation de l'assuré, Sans doute l'armateur peut établir l'exagération frauduleuse ou erronée de la valeur agréée. Mais: la jurisprudence n'admet l'assureur à faire cette preuve que s'il y a exagération notable (nos 2545 et s.). Et que devient alors le principe indemnitaire représenté comme une règle d'ordre public

S'il y a assurance des marchandises, l'assureur peut toujours au contraire, d'après la police, demander la justification des valeurs réelles (no 2548). Mais, d'une part, les assureurs tolèrent une certaine majoration d'évaluation, et, d'autre part, le profit espéré peut être évalué à forfait. L'indemnité allouée dépasse par conséquent la perte éprouvée par. l'assuré. Et que devient ici encore le principe indemnitaire ?

2° Depuis longtemps on a vu l'intéressé s'efforcer dans un autre sens d'échapper au principe indemnitaire. C'est une règle très ancienne, déjà fixée par l'Ordonnance de Barcelone de 1435, que l'assuré doit justifier d'un intérêt assurable. Pour avoir droit à une. indemnité il faut établir la perte éprouvée. Mais l'Angleterre connaissait autrefois les wagers policies ou polices de pari dispensant l'assuré de justifier d'un intérêt assurable. Déjà, en 1716, la législation anglaise les prohibait. La prohibition n'empêcha pas la pratique ; la police était considérée comme un engagement d'honneur. Elles se représentent aujourd'hui sous la forme d'une stipulation dite clause p. i. i. (Insurance proof insured interest) ou clause interest or no interest. L'assureur renonce à discuter l'intérêt assurable ; la détention de la police suffit à établir l'intérêt clé l'assuré rigoureusement ces stipulations sont nulles, mais les assureurs ne plaident presque jamais la nullité (n° 2351 et s.).

2364. - Véritable sens du caractère indemnitaire. – Faut-il voir clans cette pratique le premier indice d’une évolution nouvelle de l'assurance maritime et prévoir le Jour où l'on ne s'occupera plus du rapport entre l'indemnité promise et l'intérêt assurable ou la valeur réelle des objets assurés ? L'assureur paierait l'indemnité prévue au contait, lorsque le sinistre ou l'avarie se produirait. Sans doute, dans une telle conception, l'assurance perdrait le caractère indemnitaire ; mais ce caractère n'est pas de l'essence de l'assurance, puisqu'il y a des assurances qui ne le respectent pas.

Pourtant les législations les plus récentes, la législation anglaise par exemple, ont été obligées de maintenir le caractère indemnitaire du contrat et de défendre même sous sanction pénale l'exagération des valeurs assurées et l'assurance contractée sans intérêt. C'est que l'assurance maritime présente un trait particulier, qui se retrouve dans la plupart des assurances accidents : l'événement qui donne lieu au paiement de l'indemnité dépend jusqu'à un certain point du fait de l'assuré, ou tout au moins l'initiative de l'assuré joue un rôle dans l'éventualité du dommage. Volontairement ou par simple négligence, l'assuré peut aider à la réalisation du sinistre ou de l'avarie. Il ne faut pas que la possibilité de réaliser un bénéfice endorme sa vigilance, développe son incurie ou l'incite à un acte coupable. Pareil danger n'est pas à craindre dans l'assurance sur la vie ; il est peu redoutable dans l'assurance contre les accidents des personnes ; il est très grand dans l'assurance-incendie et dans l'assurance maritime. Les assureurs ne peuvent pas renoncer complètement à demander la justification de l'intérêt assurable ou de la valeur assurée.

La règle que le contrat d'assurance est un contrat d'indemnité reste donc en vigueur. Elle n'est pas destinée à légitimer le contrat d'assurance en le distinguant du jeu ou du pari, mais elle marque la limite qui détermine l'utilité du contrat. L'assurance qui n'est pas purement indemnitaire peut être dangereuse au point de vue social. Le contrat ne change pas de nature, mais le but poursuivi par les parties n'est plus le même. La loi commerciale ne doit pas reconnaître un contrat qui ne présente pas d'utilité dans les relations commerciales et peut favoriser l'inaction coupable ou l'action criminelle de l'un des contractants.

Le problème se réduit donc en définitive à proscrire au nom du principe indemnitaire les assurances sans utilité réelle, source de gains qui pourraient être trop facilement illicites. C'est une question de mesure. Le législateur doit prévenir le danger et témoigner d'une sévérité d'autant plus grande qu'il lui paraît plus sérieux.

 

2365. - B. Extension de l'assurance. - Différents aspects. - Le contrat d'assurance maritime, dégagé des contrats voisins, et arrivé à une vie juridique indépendante, a vu peu à peu son champ d'application s'étendre.

Cette extension peut être envisagée à trois points de vue d'abord les risques couverts par l'assurance ont augmenté ; en second lieu les parties ont conclu des contrats susceptibles de s'adapter aux intérêts des assurés ; enfin l'assurance a créé des rapports nouveaux entre assureurs.

2366. – 1° Extension des risques couverts par l'assurance. - La police usitée encore aujourd'hui par le Lloyd anglais, mais avec de très importantes modifications, reproduit l'ancienne formule d'une police de 1779. Cette police reproduisait elle-même une formule plus ancienne imitée des polices italiennes. On peut donc se faire une idée par la lecture de ce contrat de la nature des risques qui étaient autrefois garantis par l'assurance maritime. L'assureur garantit le marchand' contre les récifs, écueils et tempêtes et contre les prises et captures par l'ennemi, corsaires, pirates et voleurs. Ce sont les seuls risques garantis. L'assuré reste à découvert pour toutes les avaries. causées au navire par les événements normaux de la navigation et pour -toute détérioration de la cargaison pendant le voyage. De plus, même quand le risque est couvert par l'assurance, on ne tient pas compte des avaries peu importantes. Enfin, pour certaines marchandises, les assureurs ne promettent d'indemnité que s'il y a sinistre majeur.

Si nous comparons cette police ancienne à la définition de l'assurance maritime donnée par la loi anglaise de 1906 (art. 1er), nous pouvons mesurer le progrès accompli. Cette loi définit l'assurance maritime : « un contrat par lequel l'assureur s'engage à indemniser l'assuré de la manière et dans les limites convenues contre les pertes maritimes, c'est-à-dire contre les pertes provenant d'un risque maritime (marine adventure) ». La formule de notre Code de commerce est tout aussi compréhensive : l'article 350, après avoir énuméré les risques à la charge de l'assureur, se termine par une formule aussi large que possible, « et généralement toutes les autres fortunes de mer».

Sans doute, la convention des parties reste libre de restreindre les risques assurés. Ainsi les risques de guerre sont toujours exclus des polices (n° 269) ; mais, à défaut de convention expresse, l'assureur garantit tous les risques qui naissent de l'expédition maritime. De plus, la convention augmente le nombre des risques assurés en mettant la plupart du temps à la charge des assureurs les conséquences des fautes du capitaine : c'est la garantie de la baraterie du patron (nos 2699 et s.).

C'est qu'autrefois les assurés cherchaient uniquement à se garantir contre la ruine qu'un sinistre majeur pouvait leur causer et se souciaient peu de payer des primes élevées pour une multitude d'avaries. Les assureurs, de leur côté, ne voulaient garantir que les sinistres faciles à constater et ils n’avaient pas les moyens matériels de contrôler les menues avaries du navire et des marchandises ; ils ne cherchaient pas d'ailleurs à multiplier les risques assurables. Aujourd'hui les assureurs ont tout intérêt à couvrir le plus grand nombre de risques possible et ils ont par leurs agents le moyen de vérifier les avaries. Quant aux assurés, ils cherchent la sécurité complète, et d'ailleurs les menues avaries d'autrefois sont devenues fort importantes depuis que le navire et la cargaison ont pris une valeur plus considérable.

D'autre part, l'assurance maritime étend son domaine. Elle ne couvre plus seulement les risques causés par les événements de mer ou survenus sur mer, mais les risques terrestres qui sont l'accessoire et le prolongement des risques maritimes. La police sur facultés de 1928 (art. 10) prévoit notamment les risques de transport terrestre pour la marchandise en provenance ou à destination d'un port de mer,

2367.   2° Contrats et Traités d'assurances. -- Le contrat d'assurance était autrefois conclu en vue d'une expédition maritime déterminée. Très vite, la pratique inventa pour l'assurance sur facultés la police in quo vis, permettant de traiter sans connaître le navire affecté au transport ; mais, même dans ce cas, le contrat vise qu’une seule expédition et des valeurs déterminées.

Il fallut tout d'abord prévoir le cas où les marchandises assurées changeraient de propriétaire. L'assurance ne pouvait garantir qu'un intérêt Assurable ; elle devenait inutile à l'ancien propriétaire des marchandises et le nouveau ne bénéficiait pas de la Garantie. La cession de la police permit de remédier à cet inconvénient et la rédaction de polices à ordre ou au porteur mit à la disposition de l'assuré un procédé de cession d'une exceptionnelle commodité et d'une particulière efficacité. Aujourd'hui, la police circule en même temps que le connaissement qui assure au porteur le droit de retirer les marchandises, et ces deux documents annexés à une traite donnent ce procédé moderne de crédit : la traite documentaire (n° 1896).

Mieux encore, le contrat peut être passé par une personne qui n'a aucun intérêt assurable, si cette personne ne prétend pas contracter pour elle-même, mais bien pour le compte de celui qui aura un tel intérêt. C'est l'assurance pour compte qui permet l'assurance pour le profit du propriétaire futur des marchandises. Cette combinaison a permis aux armateurs de contracter des assurances pour le compte des chargeurs et de pouvoir offrir à tout chargeur le bénéfice de cette assurance. Quel admirable instrument de diffusion de l'assurance ! Le chargeur n'a plus à s'inquiéter du choix d'un assureur ; il contracte l'assurance en même temps que le contrat de transport et paie la prune en même temps que le fret. C'est presque l'assurance automatique des marchandises embarquées (n° 2396). .

Enfin, les parties ne contractent plus pour une seule expédition maritime, pour un seul lot de marchandises: A côté de l'ancien contrat d'assurance, on voit aujourd'hui des traités d'assurances conclus pour un temps assez long. Ce sont les polices d'abonnement ou polices flottantes. Il suffit alors, pour faire jouer la garantie, de faire une déclaration d'aliment, c'est-à-dire de spécifier les marchandises pour lesquelles on demande la garantie. Encore cette déclaration n'est-elle pas nécessaire dès le jour où les risques commencent à courir. L'assurance prend naissance par le seul fait du chargement (nos 2563 et s). On peut combiner, d'ailleurs l'abonnement et la clause pour compte ; on a alors une police flottante pour compte ; c'est cette forme d'assurance qui permet aux compagnies de navigation de faire bénéficier les chargeurs de la police flottante qu'elles ont conclue.

On est loin, on le voit, du contrat débattu entre les parties en vue, d'un voyage déterminé. Ces procédés modernes ont su concilier la sécurité qui doit naître de l'assurance avec la rapidité qu'exige le commerce maritime. Grâce à eux, des quantités énormes de marchandises partent à chaque instant pour les destinations les plus variées et sont couvertes par l'assurance du jour même de leur embarquement.

2368- 3° Réassurance. Enfin, le champ d'application de l'assurance maritime s'est singulièrement étendu par la pratique de la réassurance. L'assureur qui prend à sa charge par le contrat les risques de l'expédition maritime et promet une indemnité au cas de sinistre ou d'avarie, a une valeur exposée aux risques de mer. Il peut alors lui-même assurer à un autre assureur cette dette éventuelle moyennant une prime fixe ; il y a réassurance (nos 2585 et s.).

Cette réassurance est presque aussi ancienne que l'assurance elle-même. Elle est mentionnée dans le Guidon de la mer (chap. II, art. 19). L'Ordonnance de 1681 (liv. III, tit. VI, art. 20 et s.) la déclare licite. Le Code de commerce (art. 342) se borne à rappeler le texte de l'Ordonnance se référant évidemment à une pratique établie. Pour un assureur isolé, la réassurance présente le grand avantage de lui permettre l'abandon d'un contrat qui, à la réflexion, lui paraît dangereux, et dans tous les cas de ne conserver qu'une partie des risques.

Aujourd'hui, l'importance de la réassurance n'est pas moindre. Elle permet aux compagnies d'accepter tous les contrats sans dépasser leur plein, et quelquefois de réaliser une bonne spéculation si elles trouvent une réassurance à meilleur compte. Les mêmes compagnies pratiquent souvent à la fois l'assurance et la réassurance. D'autres se sont spécialisées dans la réassurance et ont pu arriver, par la diminution de leurs frais généraux, à se contenter de primes plus réduites. Pour toutes les valeurs importantes, des réassurances interviennent.

La réassurance elle-même a passé par la même évolution que l'assurance. Il y avait autrefois réassurance d'une police déterminée. Il y a aujourd'hui traité de réassurance. Ce traité corrige l'effet des polices d'abonnement. Si le plein de la compagnie se trouve dépassé, une simple déclaration d'aliment faite par un carnet suffit à faire jouer la réassurance. Les compagnies d'assurances sont souvent en même temps des compagnies de réassurance et les traités de partage rendent les différents assureurs réassureurs les uns des autres.

On peut par là se rendre facilement compte de la complexité de ce mécanisme juridique moderne. Les rapports créés par l'assurance deviennent tous les jours plus complexes, mais cette complexité est déguisée. La mise en jeu de l'assurance est une chose très simple ; la complexité n'apparaît que plus tard, lorsqu'il s'agit de régler les comptes.

 

 

3. ‑ Droit de l'assurance

 

2369. ‑ La loi et la pratique. ‑ L'assurance maritime est le seul type d'assurance qui soit, réglementé par la loi, car c'était le seul que la pratique connaissait lorsque nos lois civiles et commerciales ont été rédigées. Mais il s'en faut de beaucoup que tout le droit de l'assurance soit aujourd'hui représenté par la loi écrite. La pratique s'éloigne même assez fortement du droit écrit. Toutes les fois que ce droit n'édicte pas  une disposition impérative, on peut échapper à son application par la stipulation de clauses dérogatoires. Ces clauses sont toujours rédigées de façon identique dans toutes les polices, et la police d'assurance devient ainsi, à titre conventionnel, une source du droit de l'assurance

 

2370 – A. La LoiModifications du Code de Commerce.

Le Code de Commerce contient une réglementation de l'assurance maritime qui suit de très près la réglementation de l'Ordonnance de 1681. Par une méthode défectueuse, cette réglementation précède celle des avaries (art 332 à 396).

Cette réglementation a beaucoup vieilli. Elle a, il est vrai, subi deux rajeunissements. La loi du 3 mai 1862 a modifié les articles 373 à 375 sur le délaissement, pour abréger les délais légaux et les mettre en harmonie avec les nouvelles conditions de la navigation. La loi du 12 août 1885, beaucoup plus importante, a modifié ou abrogé les articles 334, 347 et 386, et transformé la conception de l'assurance en permettant l'indemnisation réelle et complète de l'assuré.

Malgré ces réformes, le droit de l'assurance aurait besoin d'être modernisé. On ne souffre pas trop de la réglementation législative parce que la plupart des règles posées ne sont pas impératives et peuvent être écartées par la police. Mais, de temps à autres, on voit apparaître l'inconvénient d'une règle archaïque. Le projet de loi sur les assurances, déposé le 12 juillet 1904 et repris le 14 juin 1906, a été abandonné. Un nouveau projet a été déposé le 7 avril 1925 et voté sans débats par la Chambre le 29 novembre 1926. Il ne touche pas aux assurances maritimes, mais il introduit dans le droit terrestre certaines dispositions de la loi maritime.

 

2371 – législations étrangères

La plupart des pays étrangers réglementent le contrat d'assurance dans leur lois commerciales ou maritimes, et le droit de ces pays se rapproche assez de la réglementation française.

En Allemagne, le Code de Commerce de 1897 règle l'assurance maritime (art. 778 à 905). Mais une loi du 30 mai 1908 contient une réglementation générale du contrat d'assurance. Une seconde loi du 30 mai 1908 a modifié le Code de commerce pour assurer sa concordance avec les dispositions de la loi nouvelle.

Aux Etats-Unis, le droit de l'assurance n'est pas codifié ; il est uniquement régi par les coutumes et les polices. Toutefois une loi du 8 mai 1918 applique aux assurances maritimes certaines règles du contrat d'assurance terrestre, notamment quant à l'intervention des courtiers.

Le droit de l'assurance était purement coutumier en Grande-Bretagne avant 1906. Il y avait certaines dispositions administratives ou fiscales, relatives à l'assurance, mais le contrat lui-même était régi par la coutume. Une loi du 21 décembre 1906, citée comme Marine Insurance Act de 1906, contient au contraire une réglementation très détaillée du contrat. Elle a la plus grande importance, d'abord à cause de l'importance du commerce des assurances en Angleterre et aussi parce qu'elle montre un mouvement du droit anglais vers la loi écrite. Cette loi de 1906 a été complétée par une loi du 20 octobre 1909 destinée à prohiber par une sanction pénale le jeu sur les sinistres maritimes. La loi fédérale australienne du 11 novembre 1909 reproduit la législation anglaise. En Suisse, la loi du 23 décembre 1927 réglemente le contrat d'assurance.

 

2372 - B. Polices - Caractères juridiques

La police est l'écrit destiné à établir l'existence du contrat d'assurance. C'est donc à proprement parler un moyen de preuve. Mais l'expression a fini par désigner le contrat lui-même, qui ne peut être prouvé que par la production de l'écrit. La police règle librement les conditions du contrat, sous l'obligation de respecter les règles légales impératives. En fait, les assureurs imposent aux assurés des conditions semblables pour tous les contrats. Ces conditions sont indiquées par une police type, établie après entente entre les assureurs. Par là, la police devient naturellement une source du droit de l'assurance au titre d'usage conventionnel toujours respecté. Elle n'a d'ailleurs de valeur que par l'assentiment des intéressés et elle peut toujours être modifiée par une convention dérogatoire.

 

2373 - Polices françaises

L'unité a été assez longue à se faire. Pendant la première moitié du XIXième siècle, il y avait un certain nombre de polices différentes, conformes aux usages maritimes locaux. Cette multiplicité et cette diversité des polices présentaient d'assez graves inconvénients dans le cas où il y avait plusieurs assurances sur la même valeur. En 1865, un congrès d'assureurs créa une police unique pour l'assurance des bâtiments, la police sur corps Paris-Marseille.

Au Congrès de 1873, les assureurs adoptèrent deux types de police qui furent révisés après la loi du 12 août 1885. L'unité créée dans les congrès d'assurances est d'ailleurs bien vite détruite par les courtiers d'assurance qui ont pris l'habitude d'imprimer un certain nombre de clauses à la suite de la police type ; chaque courtier a ainsi sa police, tout au moins à Paris. Comme il y a en outre dans beaucoup de contrats des clauses manuscrite, une police d'assurance comporte, on le voit, trois séries de clauses.

 

2374 - Police sur corps.

La police d'assurance sur corps du 1er septembre 1913 n'avait pas apporté de modifications capitales à la police de 1903, mais elle était beaucoup plus clairement rédigée et la numérotation des articles était nouvelle. Cette police a été modifiée une première fois le 9 octobre 1924. Elle a été de nouveau modifiée par un imprimé du 1er novembre 1928. Cette police, actuellement en vigueur, a respecté la numérotation antérieure des clauses.

Il y a quatre imprimés, deux pour les vapeurs et deux pour les voiliers ; l'un vise l'assurance à temps, l'autre l'assurance au voyage. Cette police est complétée par des conditions particulières divisées en paragraphes ; les plus complètes sont celles qui sont relatives à l'assurance à temps des navires à vapeur.

 

2375 - Police sur facultés. - La police sur facultés du 26 novembre 1919 était venue remplacer la police du 1er Janvier 1888. Le -texte avait été arrêté après entente entre les assureurs. français et anglais, Le nouvel imprimé différait sensiblement de l'ancien tant par la rédaction matérielle que par certaines dispositions nouvelles. On avait incorporé dans le texte même les clauses additionnelles que les courtiers avaient pris l'habitude de faire imprimer à la suite de la police. C'est ainsi que les polices d'abonnement se trouvaient régies par le nouveau texte. D'autre part, les risques de vol ayant été exclus de la police ordinaire, il avait été rédigé une police d'assurance contre le vol qui d'ailleurs ne contient que deux articles originaux.

La police de 1919 présentait sur certains points et notamment par sa rédaction même une incontestable supériorité sur la police de 1888. On peut y remarquer un certain esprit de méfiance contre les assurés. Cette méfiance résulte assurément d'expériences conteuses pour les assureurs et elle est certainement justifiée vis-à-vis de certains assurés ; mais elle se traduit par des clauses qui sous leur forme générale paraissent rigoureuses.

Le texte de 1919 a subi une nouvelle modification le 6 juillet 1922. L'imprimé de 1922 respecte la numérotation des articles et ne leur apporte que de légères modifications.

Enfin une nouvelle rédaction a été arrêtée à la date du. ter octobre 1928. C'est cette police qui est actuellement en vigueur. Elle est suivie de conditions particulières applicables sur la place de Paris mais qui sont souvent adoptées dans les autres ports.

 

2376. - Polices étrangères.- L'assuré français qui cherche un assureur étranger est obligé d'adopter la police de cet assureur.

En Grande- Bretagne la célèbre police du Lloyd est extrêmement curieuse. La formule actuelle remonte à 1779 et déjà à cette époque elle reproduisait une formule antérieure. Elle date d'une époque où le propriétaire du navire est aussi propriétaire de la cargaison et ou sont seuls assurés les risques inévitables de la navigation. Aussi faut-il compléter le texte de la police par des clauses imprimées et manuscrites.

Les assureurs de Londres ont en outre arrêté des règles dites Institute time clauses qui sont annexées à la police dans les assurances sur corps. Les Règles actuelles datent de 1921, sauf modifications postérieures de détail.

Aux Etats-Unis il n'y a pas de police type d'usage général, mais les polices en. usage se rapprochent beaucoup des usages anglais.

En Belgique on suit les règles de la police d'Anvers du 1er juillet 1859 s modifiée par les clauses de 1900.

En Allemagne on suit dans les ports de mer le règlement général sur les assurances maritimes de Hambourg arrêté en 1867 et appelé par abréviation règlement de Hambourg. Brème a une police spéciale qui date de 1875. Il existe en outre une police sur facultés de l’Internationaler Transport Versicherungs Verband de 1910 et une police dite rhénane de 1874. De nouvelles règles ont été arrêtées en 1922.

En Italie les assureurs de Gênes ont adopté en.1911 une police commune d'assurance maritime sur marchandises et une nouvelle police italienne a été mise en vigueur le 26 avril 1922.

En Suisse les compagnies d'assurances ont arrêté en 1911 une police type. Il existe aussi une police type dans chacun des trois pays scandinaves. Aux Pays-Bas les polices d'Amsterdam et de Rotterdam ont beaucoup d'analogie.

2377. - C. Unification du droit. - Conflit de lois. - La solution théorique du conflit de lois en matière d'assurance ne peut faire de doute. La loi applicable est la loi du lieu où le contrat a été souscrit. Cette loi détermine les conditions de validité ; les règles de preuve, les obligations des parties.

Cette règle offre d'ailleurs des inconvénients. Plusieurs contrats d'assurances sont souvent passés pour le même navire et conclus en des lieux différents. Ces contrats sont soumis à des lois différentes, ce qui crée pour l'assuré une complexité fâcheuse. En outre, quand le contrat a été conclu

dans un pays comme la Suisse qui n'a pas de loi maritime, l'assurance: maritime se trouve, à défaut d'application de la police, soumise au droit commun.

Pour éviter cet inconvénient, les parties peuvent déterminer la loi applicable au contrat. Cette clause est valable puisque la solution du conflit dépend de l'autonomie de la volonté. On doit seulement exiger un renvoi formel à :La loi étrangère. Le renvoi à une police étrangère ne vaut. pas détermination d'une loi de conflit compétente, mais seulement adoption de la police comme règle conventionnelle.

Il a été admis que ce renvoi pourrait résulter de la nationalité commune des parties, ainsi que de celle du navire, et de la langue employée dans la police.

Ce renvoi formel des parties à l'application d'une loi étrangère ne supprime pas toute difficulté, pas plus d'ailleurs que la détermination de la loi compétente. Le juge saisi n'appliquera en effet la loi étrangère que s'il ne là juge pas contraire à l'ordre public. Ainsi. la jurisprudence décidait autrefois que la prohibition d'assurer le fret ou le profit espéré, édictée par l'article 347 du Code de commerce, était une règle d'ordre public. Il faudrait aujourd'hui encore donner la, même solution pour le caractère indemnitaire du contrat, la règle française étant dictée sur ce_ point par une pensée d'intérêt social.

2378. - Police internationale. - L'unification du droit en matière d'assurance peut être tentée par la création d'une police internationale. L'adoption de cette police ne. supprimerait pas tous les conflits, car il faudrait faire la part des dispositions législatives jugées d'ordre public dans le pays qui les a portées.

La police internationale aurait l'avantage de ne pas mettre l'assuré en présence de lois multiples qu'il lui est Indispensable de bien connaître. Le petit nombre des assureurs en rendrait l'adoption relativement facile. Les Congrès d'Anvers et de Gênes; le Congrès de Glasgow tenu en 1902 par l'International law Association ont préconisé l'adoption d'une législation uniforme.

Les conférences internationales des assureurs ont cherché l'entente sur un certain nombre de clauses de la police, notamment l'exclusion dans les connaissements des clauses de non responsabilité.

Actuellement l'Union internationale des assureurs impose à ses adhérents l'observation de certaines conditions et règles dans la police, mais ne paraît pas se préoccuper de la rédaction d'une police uniforme. Ce sera d'ailleurs une œuvre presque impossible tant qu'il y aura dans les différents pays des lois différentes sur l'assurance considérée nommé étant d'ordre public.

Mais en fait les polices d'assurance se rapprochent beaucoup et l'assurance est vraiment devenue une industrie internationale.

 

 

 

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