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Enrica Lexie : Petit cours de Droit International de la Mer


ENRICA LEXIE_Article_Fortunes_de_Mer-04042012.jpg (4)Le Droit de la Mer n'est pas le sujet favori de Fortunes de Mer mais Le cas du "Enrica Lexie" est l'occasion pour Fortunes de Mer de s'y intéresser d'un peu plus près. Il faut dire que cette affaire porte en elle de nombreuses problématiques, au confluant de plusieurs thèmes qui font actuellement débat ; On y trouve ainsi la Piraterie, le Droit International de la Mer, les compétences des Etats en matière pénale dans des eaux non territoriales, le Droit du Pavillon, la protection armée des navires, etc...Bref, tout ce qui fait peu ou prou l'actualité du Droit International de la Mer depuis plusieurs mois.

Le point de départ de cette affaire et ses méandres judiciaires est finalement assez simple. Il implique un pétrolier long de 233 mètres, le ENRICA LEXIE. Construit en 2008 en Chine, il est la propriété de l'armement DOLPHIN TANKER et est armé par la société D'AMATO FRATELLI sous pavillon italien.

Le 15 février 2012, le navire faisait effectuait un voyage de Singapour vers l'Égypte avec à son bord un équipage de 34 marins et de 6 fusiliers marins italiens (EPE).

Alors qu'il se trouvait très probablement dans la Zone Économique Exclusive de l'Inde (9°20′ Latitude nord et 75°59′ Longitude Est), il croise le bateau de pêche St Antony qui venait de quitter le port de Neendakara pour celui de Tuna.

La suite des évènements est beaucoup moins claire. La seule certitude est que ce 15 février 2012, vers 16H30 (heure locale), l'équipe de protection du Enrica Lexie a fait feu sur le St antony, tuant deux de ses marins. Le Enrica Lexie, dérouté quelques heures plus tard par les autorités Indiennes, reste encore amarré pour les besoins de l'enquête, la première autorisation des juges autorisant son départ ayant été censurée par la haute-cour, malgré la constitution d'une garantie bancaire de 30 millions de roupies (environ USD 592 000), tandis que les deux fusiliers impliqués dans la fusillade sont à ce jour toujours emprisonnés en Inde, formellement mis en cause pour homicide par les autorités judiciaires indiennes.

 

ENRICA LEXIE_ST_ANTONY_Article_Fortunes_de_Mer-04042012.jpg (10)Ce dossier crée une crise diplomatique importante entre l'Italie et l'Inde et force l'Europe à intervenir car ce qui vient de se produire pourrait effectivement impliquer d'autres états membres ayant recours au même type de protection (France, Espagne...). L'Italie a d'ailleurs officiellement demandé le concours de ses pairs. Le ministre italien Terzi a remis début mars à ses homologues européens une note de trois pages, en anglais, décrivant par le menu à la fois les faits, le contexte juridique du dossier. Et la Haute représentante, Catherine Ashton, a précisé qu'elle comptait bien s'occuper de ce dossier.

Dans cette note, le ministre italien expose les différents points du contexte international (la politique internationale de lutte contre la piraterie, les VPD, la juridiction dans les eaux internationales, la zone économique exclusive, la notion de juridiction nationale...).

Ce dossier est donc l'occasion de se replonger dans le Droit International de la Mer et de comparer les argument des uns et des autres.

Pour bien comprendre, rappelons d'abord les différents espaces maritimes tels que prévus par la Convention de Montego Bay de 1982. Il en existe trois.

ENRICA LEXIE_Article_Fortunes_de_Mer-04042012.jpg (2)Il y a tout d'abord les espaces maritimes annexés au territoire terrestre. On y trouve les eaux intérieures (du territoire aux lignes de base). Il s'agit des eaux incluses entre le rivage et la ligne de base à partir de laquelle est mesurée la largeur de la mer territoriale. Les ports, les havres, les rades, les estuaires, les baies historiques sont dans les eaux intérieures.

La souveraineté de l'État y est totale. L'accès à ces eaux est du seul ressort de l'État côtier, dont les lois et règlements sont pleinement applicables. Les navires privés étrangers bénéficient d'un droit de libre entrée dans les ports sur la base d'une disposition conventionnelle (convention de Genève de 1923). L'État peut réglementer voire interdire l'accès à ses ports des navires de guerre étrangers, lesquels disposent en tout état de cause d'une immunité complète.

Il y a ensuite la La mer territoriale (des lignes de base jusqu'à 12 milles au maximum) Autrefois, la mer territoriale s'étendait à 3 milles marins de la côte (à une portée de canon). Aujourd'hui elle peut s'étendre jusqu'à 12 milles marins à partir des lignes de base qui la séparent des eaux intérieures.

L'État exerce sa souveraineté sur les eaux territoriales : sur la nappe d'eau, mais aussi sur le fond et le sous-sol ainsi que sur l'espace aérien surjacent. Les navires étrangers, qu'il s'agisse de navires de commerce ou de navires de guerre, ont un droit de passage inoffensif dans la mer territoriale. Le passage ne doit pas cependant « porter atteinte à la paix, au bon ordre et à la sécurité de l'État côtier ». L'État côtier peut suspendre temporairement le droit de passage inoffensif des navires étrangers (en raison de manœuvres militaires).

Il y a enfin la zone contiguë (de la limite extérieure de la mer territoriale jusqu'à 24 milles des lignes de base). D'une largeur maximale de 12 milles au-delà de la limite extérieure de la mer territoriale, il s'agit d'un « espace tampon » où l'État ne dispose que de quelques compétences finalisées (contrôles pour prévenir et réprimer les infractions aux lois nationales dans certains domaines). Le concept de zone contiguë résulte notamment des lois américaines des années 1920 visant à faire respecter la prohibition de l'alcool. La convention de 1958 permet à l'État riverain d'exercer les contrôles nécessaires en vue de prévenir ou de réprimer « les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d'immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale ».

La seconde zone est celle des des espaces sur lesquels l'État côtier exerce des droits souverains en matière économique. On y trouve d'abord Le plateau continental. Géographiquement, il s'agit de la bordure immergée du littoral descendant en pente douce sous la mer. La définition juridique est différente : tous les États en ont un, de 200 milles marins à partir des lignes de base mesurant la largeur de la mer territoriale. Il s'agit d'une définition complexe et bancale, pour des raisons plus politiques et diplomatiques que juridiques qui est le fruit d'un compromis entre les États n'ayant géographiquement pas de plateau continental naturel et ceux en ayant un très vaste. Le régime juridique du plateau continental ne concerne que le fond et le sous-sol au-delà de la mer territoriale. L'État côtier dispose de droits souverains relatifs à l'exploitation et l'exploration des ressources naturelles du plateau continental, ce qui porte sur les fonds marins et leur sous-sol, à l'exclusion des eaux surjacentes.

Il y a ensuite la La zone économique exclusive (ZEE). La zone économique exclusive est d'une largeur maximale de 200 milles (370 km) au-delà des lignes de base. L'État côtier n'y dispose que de « droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol ». L'État côtier peut donc réglementer l'activité de pêche, notamment fixer le volume autorisé des captures. Il ne peut donc normalement y exercer de compétences juridictionnelles.

ENRICA LEXIE_Article_Fortunes_de_Mer-04042012.jpg (8)La troisième zone est constituée par les espaces maritimes internationaux. On y trouve la haute mer (au-delà de la ZEE) qui commence au-delà de la limite extérieure de la ZEE et représente 64 % de la surface des océans. Le principe de la liberté y prévaut : liberté de navigation, de survol, de la pêche, de la recherche scientifique, de poser des câbles et des pipe-lines, de construire des îles artificielles. L'ordre juridique qui s'y applique est celui des autorités de l'État dont le navire bat le pavillon. C'est donc une compétence personnelle, fondée sur la nationalité du navire. Les États côtiers disposent seulement d'un droit de poursuite en haute mer, lorsque la poursuite a commencé dans une zone relevant de la juridiction de l'État poursuivant.

Dans le cas qui nous occupe, le débat porte à la fois sur l'endroit ou s'est produit l'incident et sur la nature des droits territoriaux qui y sont attachés. Pour les italiens, le point clé de l'argumentation est la situation du navire italien, et donc des militaires italiens auteurs des tirs, à 9°20′ de latitude nord et 75°59′ de Longitude Est. Si cette position est effectivement confirmée, le navire était effectivement au delà de la zone contigüe, en ZEE ou la compétence pénale de l'Etat cotier n'a normalement pas vocation à s'appliquer.

 

 

 
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Cet argument est un point contesté par les Indiens sur deux motifs : 1) de fait, ils estiment que le navire « touché » était dans ses eaux territoriales ; 2) de droit, ils soulignent l'existence d'une zone économique exclusive autour de 200 miles de leurs côtes.

Pour le ministre italien, cette position est dangereuse. C'est un « principe contraire à la liberté de navigation dans les eaux internationales ». La liberté de circulation en mer pourrait ainsi être "entravée par une extension arbitraire de la juridiction au-delà des limites définies par la loi internationale". Bref, les positions des deux parties, et celà est parfaitement compréhensible, sont à l'opposé l'une de l'autre.

Un bref tour d'horizon du corpus législatif potentiellement applicable montre en fait que deux conventions internationales peuvent avoir vocation à s'appliquer. La première, et celle à laquelle on pense de prime abord et que nous venons déjà d'évoquer, est celle des Nations Unies sur le Droit de la Mer, et dite de Montego Bay. Cette convention, signée en 1982 et entrée en vigueur en 1994, contient plusieurs dispositions applicables au cas d'espèce.

La convention prévoit ainsi des dispositions relatives aux prérogatives et obligations de l'Etat du Pavillon, prévues notamment à l'article 94.1. Cet article dispose notamment que "Tout Etat exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon et, en particulier, tout Etat "exerce sa juridiction conformément à son droit interne sur tout navire battant son pavillon, ainsi que sur le capitaine, les officiers et l'équipage pour les questions d'ordre administratif, technique et social concernant le navire". L'application stricte de cet article revient à donner clairement la compétence à l'Italie.

ENRICA LEXIE_Article_Fortunes_de_Mer-04042012.jpg (1)Il faut également jeter un regard à l'article 94.7 qui dispose que "chaque Etat ordonne l'ouverture d'une enquête, menée par ou devant une ou plusieurs personnes dûment qualifiées, sur tout accident de mer ou incident de navigation survenu en haute mer dans lequel est impliqué un navire battant son pavillon et qui a coûté la vie ou occasionné de graves blessures à des ressortissants d'un autre Etat, ou des dommages importants à des navires ou installations d'un autre Etat ou au milieu marin. L'Etat du pavillon et l'autre Etat coopèrent dans la conduite de toute enquête menée par ce dernier au sujet d'un accident de mer ou incident de navigation de ce genre,". Deux obstacles cependant : Tout d'abord, le navire n'était très probablement pas en haute mer et il n'est pas du tout certain que l'incident de l'ENRICA LEXIE puisse être considéré comme un accident de mer ou un incident de navigation.

Dans le même ordre d'idée, on aurait également pu se référer à l'article 97 de cette même convention et relatif à la "Juridiction pénale en matière d'abordage ou en ce qui concerne tout autre incident de navigation maritime" ; Celui-ci prévoit "qu'en cas d'abordage ou de tout autre incident de navigation maritime en haute mer qui engage la responsabilité pénale ou disciplinaire du capitaine ou de tout autre membre du personnel du navire, il ne peut être intenté de poursuites pénales ou disciplinaires que devant les autorités judiciaires ou administratives soit de l'Etat du pavillon, soit de l'Etat dont l'intéressé a la nationalité". Malheureusement pour l'Inde, il est clair que l'incident ne s'est pas déroulé en haute mer, zone définie par défaut dans la Convention de Montego Bay et qui comprend toutes les parties de la mer qui ne sont pas définies comme eaux intérieures ou archipélagiques, mer territoriale ou ZEE (La haute mer commence donc là où se termine la ZEE). Pour les mêmes raisons qu'évoquées ci-dessus avec l'article 94-7, il n'est pas du tout certain que cet article aurait pu trouver à s'appliquer.

Les choses seraient finalement donc assez simple au visa de l'article 94 en donnant compétence exclusive à l'Italie, mais une autre convention internationale peut également trouver vocation à s'appliquer. Il s'agit de la "Convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime faite à Rome le 10 mars 1988 (SUA 1988)."

Cette convention, dont l'origine remonte notamment à l'attentat sur le paquebot Achille Lauro en 1985 prévoit plusieurs dispositions qui elles aussi, peuvent avoir vocation à trouver application dans le cas du Enrica Lexie. Ainsi, au visa de l'article 3 de cette convention "commet une infraction pénale toute personne qui, illicitement et intentionnellement (...) accomplit un acte de violence à l'encontre d'une personne se trouvant à bord d'un navire, si cet acte est de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire ou détruit un navire ou cause à un navire ou à sa cargaison des dommages qui sont de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire (...)". L'application de ces dispositions au cas de l'Erica Lexie ne fait guère de doute, encore qu'il faille résoudre un autre problème que nous évoquerons plus avant dans cet article.

Son article 6 dispose lui que "tout Etat Partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions prévues à l'art. 3 quand l'infraction est commise à l'encontre ou à bord d'un navire battant, au moment de la perpétration de l'infraction, le pavillon de cet Etat ou (....) par un ressortissant de cet Etat".

Ce même article (6.2) prévoit "qu'un Etat Partie peut également établir sa compétence aux fins de connaître de l'une quelconque des ces infractions (...) lorsque, au cours de sa perpétration, un ressortissant de cet Etat est retenu, menacé, blessé ou tué".

Alors que la convention de UNCLOS de 1982 donne finalement une compétence exclusive à l'Italie, la convention de 1988 donne compétence à la fois à l'Italie (Articles 6.1.a et 6.1.c) et à l'Inde (Articles 6.1.a et 6.2.b).

ENRICA LEXIE_LOTUS_Article_Fortunes_de_Mer-04042012.jpg (9)L'histoire n'étant qu'un éternel recommencement, les faits de l'Enrica Lexie sont finalement assez identiques à ceux de la célèbre affaire du Lotus jugée en 1927 la Cour permanente de Justice internationale (CPJI), où un navire français a abordé en haute mer un navire turc tuant huit marins turcs. Le capitaine français a été poursuivi devant les tribunaux turcs et les gouvernements turc et français ont présenté la question de la compétence de la CPJI. Cette dernière a jugé qu'en l'absence d'une disposition pertinente contraire, les juridictions turques pouvaient exercer leur compétence pénale à l'égard du capitaine français parce que l'incident avait eu lieu en haute mer et avait eu un effet substantiel sur la Turquie.

Bref, c'est l'imbroglio car l'Italie et l'Inde ont une compétence concurrente sur les éventuelles poursuites à engager contre les militaires italiens mais il s'agit finalement plus d'une question théorique que pratique, la compétence revenant "de facto" au pays qui arrête en premier les présumés auteurs, et ce en application du principe "de aut dedere aut judicare" ("extrader ou poursuivre") ; Les autorités indiennes ont visiblement choisi de poursuivre....

Sauf qu'un autre problème surgit, à savoir l'immunité dont pourrait bénéficier les militaires dans le cadre de leurs actions. Dans ce dossier, et à l'inverse du "Lotus", il ne s'agit pas de marins "civils" mais bel et bien de militaires, portant l'uniforme et agissant dans le cadre d'une mission qui leur a été confiée par les autorités italiennes. Dans une lettre du 12 mars dernier adressé à l'Inde, l'ambassade italienne écrit ainsi que les militaires bénéficient d'une immunité juridictionnelle dans l'exercice de leur fonction officielle de protection du navire. Il indique également qu'une procédure a déjà été ouverte à Rome. "Le détachement de la marine italienne a opéré dans les eaux internationales, et à ce titre, doit être considéré comme un organe de l'état italien. Les marins italiens ont agi en accord avec les règlementations nationales italiennes et avec les règles internationales de la convention internationale sur le droit de la mer de 1982 et celles de la résolution du Conseil de Sécurité sur la piraterie au large de la Corne de l'Afrique", a ainsi tenté d'expliquer la diplomatie italienne. Des arguments juridiques qui ne sont pour l'instant pas du tout entendus par les juridictions indiennes.

En France, cette immunité est notamment prévue au II de l'Article L.4123-12 du Code de la Défense qui prévoit que "n'est pas pénalement responsable le militaire qui, dans le respect des règles du droit international et dans le cadre d'une opération militaire se déroulant à l'extérieur du territoire français, exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force armée, ou en donne l'ordre, lorsque cela est nécessaire à l'accomplissement de sa mission." Cet article instaure une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale du militaire participant à une opération militaire en dehors du territoire français et utilisant la force ou donnant l'ordre de l'utiliser, pour accomplir sa mission. Il met fin à l'incertitude juridique de l'application du cadre strict de la légitime défense et au sentiment d'insécurité qui en découlait". Ainsi, le militaire, en opération extérieure, peut être conduit à user de la force létale mais dans le strict respect des règles du droit international. En effet, la force ne doit être utilisée que pour les besoins de la mission, entendue strictement. Cette mission découlant du mandat donné à la force par l'ONU, l'OTAN ou l'Union européenne, doit être appréciée proportionnellement au niveau de responsabilité confiée au militaire, à la gravité de la menace ou de l'entrave à l'accomplissement de la mission ou à l'objectif en termes opérationnels qui est à atteindre (dans le cas de la piraterie au large de la corne de l'Afrique, les marines agissent bel et bien en application de mandats délivrés par l'ONU via les Résolutions du Conseil de Sécurité ou de l'Union Européenne au travers de l'Opération Atalante).

Pour autant, doivent être également respectées les directives provenant des règles d'engagement (ROE) constituant le cadre de l'action opérationnelle qui "ne sont pas des règles juridiques mais un cadre d'ordre qui rappellent les règles d'engagement sur les conditions légales d'utilisation de la force".

ENRICA LEXIE_Article_Fortunes_de_Mer-04042012.jpg (5)Enfin, le contrôle de l'usage de la force létale est soumis au contrôle judiciaire, a posteriori, opéré notamment, par la chambre spécialisée du tribunal de grande instance de Paris. En cas de mise en cause, l'Etat est tenu, en application de l'article L 4123-10 du Code de la Défense d'accorder sa protection au militaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle. Ces précisions sont d'autant plus importantes que dans le cadre des opérations extérieures, tout militaire est normalement soumis à la loi du pays dans lequel il intervient. Dans le cas d'infractions réprimées par la loi du pays où s'effectue la mission, le militaire peut avoir à répondre de ses actes autant devant les juridictions étrangères que devant les juridictions françaises. Cependant, cette spécificité est réglée par la négociation d'accords sur le statut des forces (Status Of Forces Agreement, SOFA) avec les Etats sur les territoires desquels se dérouleront les opérations militaires et ce, afin de garantir une protection du militaire en mission à l'étranger. En effet, il n'existe pas de SOFA avec tous les pays du monde avec lesquels la France coopère, soit parce que certains accords sont actuellement en cours de négociation, soit parce que certains pays sont réticents à la conclusion de tels accords. Un SOFA est un engagement juridiquement contraignant de droit international conclu entre deux ou plusieurs sujets de droit international (Etats, organisations internationales). Outre les dispositions relatives à la facilitation du séjour des forces françaises et au règlement des dommages, un SOFA se caractérise par ses dispositions en matière juridictionnelle, plus ou moins protectrices pour les soldats.

Un SOFA peut, en effet, instaurer une répartition des compétences juridictionnelles entre la France et l'Etat d'accueil. Une clause prévoira que toute infraction, commise par un membre du personnel français dans le cadre du service, relèvera prioritairement des juridictions françaises. Cette priorité de juridiction (privilège de juridiction) est la protection minimale recherchée pour les membres de la force.

Un SOFA peut également accorder au personnel de la force, une immunité de juridiction sur le territoire de l'Etat d'accueil. Cela signifie que, quelle que soit l'infraction commise, ou les circonstances dans lesquelles elle a été commise, le personnel français ne pourra être jugé que par les juridictions françaises. Il s'agit là de la protection maximale envisageable, recherchée systématiquement dans le cadre d'une opération extérieure.

Dans notre cas, et sauf erreur de notre part, il n'existe pas de telle convention SOFA entre l'Inde et l'Italie. Aussi, et sauf à ce que l'Inde et l'Italie aboutissent à un accord sur l'extradition des deux fusiliers marins et à leur jugement en Italie (ou une procédure a été diligentée par le procureur de Rome pour meurtre), Latorre Massimiliano et Salvatore Girone seront jugés en Inde. Reste à savoir s'ils y purgeront leur peine ou s'ils seront extradés à ce moment du dossier.

Il restera encore à juger le volet civil du dossier car le propriétaire du St Antony et les familles des victimes ont d'ores et déjà engagés des poursuites pour obtenir réparation de la part du propriétaire du Enrica Lexie et réclament à ce jour près de USD 750 000.

Ce dossier n'est finalement que le reflet et la conséquence d'années d'atermoiements sur l'emploi, le rôle, la nature de la mission, et les responsabilités des EPE (Equipes de Protection Embarquée) mais également des membres des Sociétés Miliaires Privées (SMP) employés par les armateurs pour protéger leurs navires. En effet, depuis plusieurs années déjà, des militaires embarquent sur des navires de commerce sans que leur statut soit clairement défini vis à vis des tiers, des civils qu'ils protègent, des dommages corporels qu'ils pourraient causer, etc....Il faut dire que le cas d'une telle bavure (puisqu'il semble bien que celà soit le cas) n'a sans doute pas été envisagé, et certainement pas de telles conséquences comme l'arrestation et l'emprisonnement de membres de ces EPE.

Quant aux Sociétés Militaires Privées (SMP), leur rôle ne cesse de grandir depuis la seconde guerre d'Irak et elles sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers le très juteux marché de l'accompagnement des navires en zone dangereuse. Leur cas a fait l'objet d'un récent rapport parlementaire déposé par Christian Menard (à qui l'on doit aussi le rapport sur la Piraterie ayant débouché sur une réforme du Code Pénal) ou il est souhaité une évolution de la législation en vigueur afin de permettre à la France d'être présente sur ce marché, ce que ne permet que très difficilement les textes actuellement en vigueur.

Plusieurs pays autorisent déjà la présence de gardes armés "privés" à bord des navires ou sont en passe de le faire comme le Royaume Uni. Il existe même des contrats type comme le GUARDON de la BIMCO, des contrats d'assurance spécifiques à ce type d'activité, ou liés à la présence à bord de ce type de personnel, et même un code de conduite international des entreprises de sécurité privées.

Reste que le cas de l'ENRICA LEXIE risque de faire jurisprudence et de refroidir certains dans ce domaine, voire d'encourager les pratiques déviantes comme ne rien dire et/ou ne pas répondre aux sollicitations du gouvernement côtier en quittant le plus rapidement possible la zone présumée de la "bavure"....

 

Nos sources pour cet article :

 

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