Pour les 28 assureurs figurant sur le slip de la police d'assurance Corps et Machines du COSTA CONCORDIA, l'annonce faite par CARNIVAL le 9 mars dernier lors de la présentation de ses comptes trimestriels n'aura pas été une surprise mais plutôt une confirmation pour ceux et celles qui connaissent un peu les navires et les assurances : Le COSTA CONCORDIA est une "perte totale" pour les assureurs (Constructive Total Loss).
Ils devront donc payer la somme rondelette de EUR 264 645 799 (USD 335 462 368) au titre de l'assurance "corps" et EUR 130 345 963 (USD 165 225 239) au titre de la "bonne arrivée ou "increased value". Pour les assureurs, la note totale se montera donc à EUR 394 991 762 (USD 500 687 608). Certains assureurs seront cependant moins malchanceux que d'autres, la répartition faisant apparaître que certaines compagnies n'ont prit qu'une part sur la police Corps ou sur l'Increased Value.
Comme nous l'écrivions dans un précédent article, cette annonce est logique. Non pas que l'avarie proprement dite ne puisse être réparée (la brêche dans la coque) mais le temps passé par le navire dans l'eau de mer (bientôt trois mois) ne peut que conforter l'idée que le coût des réparations excédera la valeur agréée "Corps et Machines, et ce d'autant que dans notre cas, celle-ci est finalement assez faible, ne représentant que 65 % de l'assurance totale du navire.
Il suffit d'imaginer les réparations à effectuer (démontage complet des compartiments moteurs, nettoyage, remontage, démontage / montage de la quasi totalité des circuits électriques et électroniques, des aménagements intérieurs, etc....) pour comprendre que la barre des 264 millions d'EUR sera allégrement franchie.
A noter que la presse spécialisée (Insurance Insider) se fait l'écho de difficultés entre les assureurs et COSTA au sujet de la franchise annuelle (AAD ou Annual Aggregate Deductible) et quant à son imputabilité ou non sur le sinistre du CONCORDIA.
Il échoira donc aux deux P&I de prendre en charge ce qu'il convient désormais d'appeler un retirement (wreck removal) et non plus un sauvetage pouvant être mis à la charge des assureurs "corps et machines".
Reste encore à fixer le sort du navire. On ignore en effet si le navire a été délaissé aux assureurs ou si ceux-ci ont accepté le principe de la perte totale sans délaissement et donc sans transfert de propriété (solution la plus probable).
Par ailleurs, on ne connaît pas encore la solution qui sera retenue pour enlever la coque du CONCORDIA de son rocher de l'île du Giglio en Toscane. La compagnie italienne a fait ce même vendredi 9 mars un point sur les opérations d'enlèvement du paquebot. Dans le cadre d'un appel d'offres lancé par la compagnie Costa Croisières, 10 sociétés spécialisées ont été invitées à présenter un plan de retrait du navire. « Au total, 6 offres opérationnelles pour l'enlèvement de la coque du Costa Concordia ont été reçues pour la date limite fixée au 3 mars 2012. Parmi les 10 experts mondiaux invités à participer à l'appel d'offre, 3 entreprises avaient précédemment d'autres engagements et 2 firmes se sont associées sur un projet commun. 6 plans opérationnels sont donc soumis. Ces projets présentent différentes méthodologies et techniques d'intervention. Tous partageant le même haut niveau de qualité et la même attention portée sur la limitation de l'impact environnemental, sur la protection des activités touristiques et économiques de l'île de Giglio et sur la plus grande sécurité », explique la compagnie, qui précise que la durée estimée des travaux est, pour le moment, de 10 à 12 mois. L'étude technique des dossiers déposés se poursuit en vue de sélectionner cette semaine une short-list. Et le lauréat du marché devrait être désigné fin mars, début avril.
Si la solution est un enlèvement pur et simple, la réparation du CONCORDIA sera envisageable ; Le navire sera vendu "en l'état", remorqué et réparé, probablement sous d'autres cieux et d'autres mers et reprendra ensuite une seconde carrière, sous un nouveau nom. Il n'y aura cependant que peu de chances de le voir à nouveau sous nos latitudes.
Par contre, si la solution consiste en une découpe, le COSTA CONCORDIA finira sa carrière sur ce rocher, après seulement cinq années de service. Les morceaux du navire iront dans un chantier de ferraillage, comme avait fini le TRICOLOR en 2003.
Certains objets seront sans doute sauvés comme les œuvres d'art que COSTA avait achetées pour décorer ce navire et dont la participation involotaire à ce naufrage n'a sans doute fait qu'augmenter la valeur.
Abandonnées lors de l'évacuation, ces quelques six mille oeuvres d'art dorment dans le navire dans l'attente d'être désagrégées par l'eau de mer ou récupérées, que ce soit par leurs propriétaires légitimes soit par les pilleurs d'épave.
Parmi elles se trouvait une série complète des Trente-six vues du mont Fuji de Katsushika Hokusai. Cette série, gravée entre 1826 et 1833, contient réellement quarante-six estampes, dix d'entre elles ayant été rajoutées tardivement par l'artiste devant le succès rencontré par l'ensemble. Les Trente-six vues du mont Fuji sont sans nul doute les estampes japonaises de style ukiyo-e les plus renommées, comportant au sein du corpus la plus que célèbre Grande vague de Kanagawa.
Gravées en bois et imprimées à l'encre à l'eau, à la manière japonaise, l'eau de mer a au mieux dilué l'encre des estampes, au pire déjà dissout le papier japon utilisé pour les tirages. Contrairement aux autres oeuvres d'art se trouvant toujours au sein de l'épave et que l'eau de mer endommagera sans les faire disparaître, les estampes et autres dessins sont irrémédiablement perdus : quarante-six estampes d'Hokusai ont donc disparu corps et âme dans l'échouage du Costa Concordia.
Outre cette série, les bijoux et l'argent des passagers, le Costa Concordia abritait des boutiques de luxe, notamment des bijouteries, et était décoré de milliers œuvres d'art : 4 500 sérigraphies, 286 peintures, 42 sculptures dont des antiques, un cristal de Bohême du XIXième siècle.
Ces œuvres étaient certainement assurées, soit au travers de la police "corps" au titre des équipements du bord, soit au titre d'une police "facultés" dédiée à l'assurance de ces œuvres. Quelle que soit la police concernée, ce point des œuvres et biens meubles du CONCORDIA a probablement fait l'objet d'un accord spécial entre les assureurs et COSTA CROISIERES ; Un autre accord a sans doute eu lieu (ou aura lieu) avec les assureurs "facultés" et/ou P&I pour déterminer le devenir des bagages, objets, bijoux, valeurs, appartenant aux passagers et qui pourront être retrouvés à bord, notamment dans les coffres et qui pourront faire l'objet d'une restitution aux passagers qui pourront prouver la propriété des objets (de belles batailles en perspective...).
Cette chasse au trésor ne pourra pourtant pas débuter tout de suite. Il ne faut en effet pas oublier que l'épave demeure pour l'instant inaccessible, et ce tant que des corps s'y trouveront. « Aussi longtemps qu'il y aura des corps, l'épave est interdite à tout le monde parce que c'est une tombe », explique Robert Marx, plongeur américain chevronné et auteur d'ouvrages sur l'histoire maritime et sur l'archéologie sous-marine, « mais quand tous les corps auront été enlevés, il y aura une course folle pour les objets de valeur ». Les autorités italiennes ont d'ailleurs édité un décret interdisant à quiconque de pénétrer dans un périmètre d'un mile nautique autour de l'épave du paquebot ; le site est sous surveillance permanente.
Enfin, et pour la petite histoire, il faut savoir que la pollution se niche parfois là ou on ne l'attend pas. En effet, et si le pompage des soutes d'hydrocarbures est en cours et que la chasse à toute pollution venant des soutes est sous surveillance constante, l'ONG Greenpeace a fait des investigations et vient d'annoncer une pollution provoquée par de la matière organique provenant des aliments restés à bord du Costa Concordia.
Du 15 au 18 février, les chercheurs de l'ONG Greenpeace ont passé du temps dans la zone où se trouve l'immense navire. Avec leurs instruments de travail, ils ont analysé l'eau et ont eu des résultats qui les font croire que le Costa Concordia serait en train de polluer l'environnement. Les chercheurs ont en effet relevé des quantités d'azote ammoniacal allant de 2,04 µg (microgrammes) à 2,12 µg/l d'eau de mer, ce qui serait largement supérieur à la limite qui est de 0,066 µg/l.
Ils justifient cette présence par une possible décomposition des produits alimentaires qui étaient stockés dans le navire et qui se sont retrouvés dans l'eau. Par ailleurs, ils ont détecté entre 3,77 µg/l et 4,35 µg/l d'éléments chimiques issus des produits de nettoyage alors que la loi n'autorise qu'un maximum de 0,55 µg/l. L'Agence régionale pour la protection de l'environnement (Arpat) avait aussi fait des recherches dans ce sens mais ses chiffres sont en dessous de ceux de Greenpeace. L'ONG explique cette différence par le fait que les prélèvements de l'Arpat aient été effectués en profondeur alors que les leurs étaient à la surface.
L'histoire du COSTA CONCORDIA s'écrit au jour le jour. Sa perte totale ne signe pas la fin de l'histoire ; bien au contraire, elle est le début d'un autre chapitre, tout aussi passionnant que le précédent.