Le principe de compétence universelle s'est appliqué tout d'abord, dans la coutume internationale, aux actes de pirateries en haute mer. Dans les années vingt, la célèbre affaire du Lotus avait constitué un précédent : à la suite d'un abordage survenu en haute mer, un navire français avait été arraisonné par les autorités turques. La Turquie avait jugé et condamné le capitaine français et la Cour permanente de justice internationale, acceptant la compétence du tribunal turc, a énoncé en 1927 une règle fondamentale : pour un exercice légitime de compétence pénale sur son territoire, l'Etat n'a pas besoin d'y être autorisé ou habilité par l'ordre juridique international (arrêt n°9 du 7 septembre 1927, CPJI, affaire du Lotus, France c. Turquie).
MESSAGERIES MARITIMES - LOTUS - Abordage avec le BOZ-COURT le 2 août 1926
DECISION
Arrêt de la Cour permanente de justice internationale du 7 septembre 1927
ANALYSE
Le 2 août 1926 vers minuit, un navire français, le Lotus, qui naviguait à destination de Constantinople (Istanbul), aborde en haute mer un navire turc, le Boz-Kourt, dans la mer Méditerranée. Ce navire turc, sous l'effet du choc, se brise en deux et sombre. Au cours de l'abordage, huit marins turcs meurent. Le navire français sauve dix marins turcs, puis se rend à Constantinople où il arrive le 3 août. Le 15 août, le capitaine français (M. Demons) du navire est arrêté par les autorités et le 15 septembre il est condamné par les tribunaux turcs en raison des dommages subis par les marins turcs.
Problèmes de droit posés
La France proteste auprès de la Turquie en faisant valoir que le capitaine étant de nationalité française et le navire sous pavillon français, la Turquie ne disposait d'aucun titre de compétence objective pour juger les actes commis. La France considérait que la compétence objective pénale est de nature territoriale et donc ne peut s'exercer à l'égard de faits qui se sont déroulés en dehors de l'État. Le dommage a été causé en haute mer, donc il revient à l'État du pavillon d'exercer la compétence pénale. La Turquie plaidait qu'elle avait compétence objective du fait de la nationalité des victimes.
Cette affaire du Lotus pose deux problèmes :
Solutions retenues
La CPJI va considérer que le droit international n'a pas été violé. L'État exerce seul, à l'exclusion de tous, ses fonctions étatiques. La CPJI a donc jugé que l'exclusivité interdit toute action de contrainte d'un État sur le territoire d'un autre État.
On en retient le fameux dictum « les limitations de l'indépendance des États ne se présument pas », c'est-à-dire que tout ce qui n'est pas interdit en droit international est permis. Sur la coutume et le volontarisme des relations internationales : « les règles de droit qui lient les états, sont le fruit de leur volonté, dans des conventions ou dans les usages acceptés généralement comme consacrant des principes du droit ».
C'est aussi dans le cadre de cette affaire que le juge Moore cite, dans son opinion individuelle numéro 7, le principe de compétence universelle appliqué dans les cas de piraterie: « [D]ans le cas de ce qui est connu sous le nom de piraterie du Droit des Gens, il a été concédé une compétence universelle, en vertu de laquelle toute personne inculpée d'avoir commis ce délit peut être jugée et punie par tout pays sous la juridiction duquel elle vient de se trouver [...]. Bien qu'il y ait des législations qui en prévoient la répression, elle est une infraction de droit des gens; et étant donné que le théâtre des opérations du pirate est la haute mer où le droit ou le devoir d'assurer l'ordre public n'appartient à aucun pays, il est traité comme l'individu hors-la-loi, comme l'ennemi du genre humain- hostis humanis generis- que tout pays, dans l'intérêt de tous peut saisir ou punir ».