Parmi la multitude de sites que je consulte régulièrement afin de me tenir informé de tout ce qui se passe dans le petit monde du maritime, le site américain "gcaptain" figure en bonne place par la qualité des articles et surtout par le fait que les publications sont suffisamment détaillés et "sourcés" pour que l'on puisse se faire véritablement une opinion du cas traité. Dans un article paru le 27 février dernier, le site s'intéressait à la décision de la Cour d'Appel du 9ième district de Washington qualifiant l'ONG SEA SHEPHERD de "pirate". Pour ceux qui ne connaîtraient pas SEA SHEPHERD, je les invite à quelques recherches sur Internet et sur le site de l'organisation pour y voir que les méthodes employées n'ont rien de commun avec celles employées par les autres ONG de défense de l'environnement. Ici, on semble plus proche de l'armée des douze singes que du discours policé ou même des actions de Greenpeace (quoique parfois très spectaculaires).
L'ONG ne fait pas vraiment dans le consensuel, ni dans la délicatesse. Seul le résultat compte, ses membres n'hésitant pas à se mettre personnellement en danger pour atteindre les objectifs fixés par le big boss, Paul Watson. L'ONG s'est ainsi fait une spécialité dans la lutte contre toutes les pêches qu'elle considère comme illégales ou abusives et dispose, pour arriver à ses fins, de navires armés par des bénévoles qui n'hésitent pas à aborder les navires de pêche, à couper leurs lignes, leurs filets, etc, et ainsi les empêcher de poursuivre leurs activités de pêche.
L'ONG mène ainsi une guerre frontale aux navires baleiniers japonais qui pratiquent, officiellement à des fins scientifique, la pêche à la baleine dans les eaux froides de l'Antarctique ; En effet, bien que la pêche aux cétacés fasse l'objet d'un moratoire en vigueur depuis 1982, la pêche de quelques centaines d'unités à des fins scientifiques demeure possible, ce dont ne se privent pas les japonais dont on rappellera également qu'ils sont très friands de la chair de cétacé, histoire de replacer cette pêche dans son contexte dont le caractère scientifique échappe à pratiquement tout le monde. Chaque année donc, les navires "scientifiques" mettent le cap sur les eaux froides des océans antarctiques et y prélèvent un certain nombre de spécimens, officiellement à des fins d'étude.
Mais depuis plusieurs années, ces navires y rencontrent les navires de SEA SHEPHERD qui n'ont eux qu'un seul but, les empêcher de pêcher, par à peu près tous les moyens. Cette tactique, violente par les moyens utilisés, réussit souvent à fortement perturber les campagnes de "prélèvement", ce qui a bien évidemment le don d'énerver au plus haut point les japonais. La campagne 2012 "Zero Tolerance" a ainsi été un succès. Comme le souligne l'ONG sur son site, "il suffit de demander l'avis de Yoshimasa Hayashi, le Ministre Japonais de l'Agriculture, des Eaux et Forêts, et de la Pêche. "Le nombre le plus bas de baleines pêchées depuis le début de la ''chasse baleinière scientifique'' en 1987", a-t-il déclaré. 103 baleines de Minke ont été tuées et, avec certitude, aucune baleine à bosses ni rorqual commun n'ont été massacrés. Ces chiffres incluent 50 mâles et 53 femelles. Les fœtus de 46 d'entre-elles ont été prélevés. Les baleiniers Japonais n'ont pu pêcher que 10% de leur quota. L'an dernier, ce chiffre fût de 26%, et l'année précédente de 17%. Trois années successives d'interventions couronnées de succès pour Sea Shepherd; il s'agit là d'un "sabotage impardonnable", selon Hayashi."
Si la bataille des mers semble souvent tourner au bénéfice de l'ONG, il semble en être très différemment des batailles juridiques ou tous les coups semblent également permis, le fondateur Paul Watson ayant même "sur sa tête" deux notices rouge d'Interpol le mettant au même niveau de dangerosité que des terroristes ou des trafiquants de drogue. Les intérêts japonais n'ont visiblement pas ménagé leurs efforts, notamment aux Etats-Unis, et cet arrêt de la Cour d'Appel du 9ième district est objectivement un coup dur porté à l'organisation et sur lequel Fortunes de Mer s'est penché.
Nous allons revenir sur son contenu extraordinairement intéressant mais, s'agissant d'une décision d'appel, il nous a semblé intéressant de revenir sur la décision de première instance prise quelques mois plus tôt en janvier 2012 par l'honorable juge Richard A.Jones et qui est, à peu de choses près, l'exact contraire de celle du juge Alex Kozinski du 25 février 2013.
Après de longues recherches, nous avons pu "mettre la main" sur la décision du juge Jones. Celle-ci est (très) longue et très argumentée. Au commencement de l'affaire, il y a une demande d'injonction formulée par les intérêts baleiniers représentés par l'Institut de Recherche sur les Cétacés (IRC) qui vise à interdire à l'ONG de poursuivre ses actions et de s'approcher des navires "scientifiques" lorsqu'ils mènent leurs opérations en haute mer. Et même si le juge affirme ne pas avoir de véritable à priori sur les parties, il semble quand même que les baleiniers ne font probablement pas partie de son cercle d'amis les plus proches. Dès le début de la décision, le juge relativise les actions menées par SEA SHEPHERD en s'attachant à démontrer qu'elles ne pouvaient entraîner de blessures ou de mise en danger des baleiniers. Le juge s'étonne également d'une telle action intentée aux Etats-Unis devant son tribunal en 2011 alors que rien n'a été fait auparavant, la nouvelle campagne de l'ONG étant identique aux précédentes. Mais ce ne sont là que des impressions, n'étant pas non plus un fin connaisseur des tribunaux américains et de la manière dont sont rédigées les décisions.
Le juge s'attache ensuite à la question de la compétence de son tribunal. Point fondamental car en effet, ni les demandeurs, ni les défendeurs ne sont citoyens américains. Quant aux navires impliqués, ils sont soit hollandais, australiens, ou japonais. Le juge doit donc se déclarer compétent avant de se prononcer sur les moyens invoqués. Pour justifier de la compétence des tribunaux américains, l'Institut de Recherche sur les Cetacés (IRC) demande l'application de l'Alien Tort Statute (ATS) qui permet à un étranger d'intenter une action en responsabilité délictuelle lorsqu'il y a violation de la "loi des nations" ou d'un traité signé par les Etats Unis. Ce principe juridique est longuement développé dans le jugement mais, parmi les moyens soulevés par les demandeurs, et qui seraient susceptibles de recevoir application au travers de l'ATS, le juge ne va en retenir que deux pour statuer sur l'injonction demandée par les pêcheurs japonais, la liberté de navigation et la piraterie.
Sur la piraterie, les plaignants arguent que les actions de SEA SHEPHERD doivent être considérées comme des actes de piraterie au regard du Droit International. Pour le juge, la question est de définir précisément la piraterie et de déterminer s'il existe une définition communément acceptée. La convention de Montego Bay de 1982 donne effectivement une telle définition dans son article 101 en disposant que la piraterie est l'un quelconque des actes suivants :
a) tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l'équipage ou des passagers d'un navire ou d'un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé :
i) contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer;
ii) contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d'aucun Etat;
b) tout acte de participation volontaire à l'utilisation d'un navire ou d'un aéronef, lorsque son auteur a connaissance de faits dont il découle que ce navire ou aéronef est un navire ou aéronef pirate;
c) tout acte ayant pour but d'inciter à commettre les actes définis aux lettres a) ou b), ou commis dans l'intention de les faciliter.
L'article 101 de la Convention de Montego Bay fixe donc quatre conditions cumulatives pour caractériser l'acte de piraterie :
- l'acte doit être commis en haute mer ou dans un espace maritime ne relevant de la juridiction d'aucun Etat ;
- le bâtiment « pirate » doit être un navire ou un aéronef privé ;
- l'acte doit être un acte illicite de violence ou de détention ou de déprédation dirigé contre un navire, des personnes ou des biens ;
- l'attaque doit être effectuée à des fins privées.
Or, pour le juge, il manque pour pouvoir appliquer cette définition aux actes de SEA SHEPHERD la notion de "fins privées" qui ne peut être retenue dans le cas des actions de l'ONG contre les baleiniers japonais. Pour le juge, il n'existe pas de concensus international sur le fait que les actions visant à empêcher la destruction de la faune marine puissent être qualifiées d'action à des fins privées. Et même si une telle norme existait, il appartiendrait aux baleiniers de démontrer que les actes de SEA SHEPHERD doivent être considérés comme des actes violents au sens du Droit International coutumier. En effet, les membres de SEA SHEPHERD ne visent pas les personnes et s'ils pourraient être qualifiés d'actes de malveillance, ils n'est pas sur qu'il puisse être qualifié d'actes illicites de violence. En conséquence, le juge ne retient pas les arguments des demandeurs sur leur demande de ce que les actes de SEA SHEPHERD soient qualifiés d'actes de piraterie.
Le juge s'attache ensuite au volet "liberté de la navigation" dont les demandeurs seraient privés et qui constituerait notamment une violation de la convention dite SUA et de son article 3-1 qui dispose que "commet une infraction pénale toute personne qui, illicitement et intentionnellement (a) s'empare d'un navire ou en exerce le contrôle par violence ou menace de violence; ou (b) accomplit un acte de violence à l'encontre d'une personne se trouvant à bord d'un navire, si cet acte est de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire; ou (c) détruit un navire ou cause à un navire ou à sa cargaison des dommages qui sont de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire; ou (d) place ou fait placer sur un navire, par quelque moyen que ce soit, un dispositif ou une substance propre à détruire le navire ou à causer au navire ou à sa cargaison des dommages qui compromettent ou sont de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire (...).
Le juge constate que cette convention a été ratifiée et intégrée dans le Droit Américain et que les tribunaux américains ont déjà eu l'occasion de se prononcer sur ce que ce traité codifiait la prohibition des actes de piraterie, universellement condamnés. Le juge admet donc que cette convention puisse être utilisée dans le cadre d'une procédure ATS.
Pour autant, le juge considère que les baleiniers japonais n'apportent pas non plus la preuve d'une violation de la convention SUA par SEA SHEPHERD. Le juge considère en effet que les actions menées (bouts dans les hélices ou dans le gouvernail principalement) ne conduisent pas à mettre le navire et son équipage en danger. Quant à l'autre "tactique" de SEA SHEPHERD, à savoir se mettre dans la trajectoire du baleinier au risque de l'aborder, le juge estime que les baleiniers ont une vision trop extensive de la "safe navigation", toute interférence dans leur route étant jugée comme une atteinte à leur liberté de navigation. Il poursuit en affirmant qu'il n'est pas certain que les actes de SEA SHEPHERD (lancement de bouteilles, bombes fumigènes, etc) puissent être considérés comme des actes de violence au sens de la convention SUA.
Sur la liberté de navigation, et parmi les autres sources de Droit citées par les baleiniers, à savoir la convention sur la haute mer de 1958, la convention de Montego Bay, la convention sur la haute mer, seule la dernière, la convention sur la prévention des abordages en mer (COLREG) a, pour le juge, vocation à s'appliquer aux manœuvres des navires de SEA SHEPHERD. Quant aux autres conventions, leurs définitions de la liberté de navigation ne permet pas d'en déduire que SEA SHEPHERD les aurait enfreintes.
Enfin, et pour en terminer sur les fondements juridiques d'une ATS, le juge considère que SEA SHEPHERD ne peut exciper de la charte mondiale de la nature de 1972 une quelconque autorisation générale et juridique de protection de la nature. Cette charte avait pourtant permis à Paul Watson de se tirer d'un autre mauvais pas en 1995 à Terre-Neuve.
En conclusion (d'autres moyens sont évoqués mais nous renvoyons nos lecteurs à la lecture complète du jugement), le juge estime que les baleiniers sont bien en droit invoquer l'ATS pour attraire SEA SHEPHERD devant son tribunal mais que ces mêmes baleiniers ne peuvent être reçus en leur demande d'injonction en raison du fait qu'ils n'apportent pas la preuve que les actes de SEA SHEPHERD puissent être considérés comme "violents" ou être qualifiés d'actes de "piraterie" au sens des conventions internationales dont se prévalent les baleiniers. L'injonction est donc refusée.
Ce jugement de première instance était une belle victoire de SEA SHEPHERD même si le juge précise bien à la fin de son argumentaire que cela ne constitue en aucun cas une approbation des méthodes de l'ONG. Il constate néanmoins avec regrets qu'il lui a été demandé de statuer sur un cas qui relève normalement de la compétence des Etats et non de sa juridiction.
Les baleiniers de l'IRC ne se sont bien entendu pas arrêtés à cette décision de première instance et ont porté l'affaire devant la "United Court of Appeals for the ninth Circuit" ou le juge en charge du dossier a visiblement une toute autre vision de l'affaire et des méthodes de SEA SHEPHERD.
En effet, et avant même que l'affaire ne soit évoquée au fond et plaidée, il émet le 17 décembre 2012, de son propre chef, et sans que personne ne le lui demande, une injonction à l'encontre de l'ONG qui lui fait défense, ainsi qu'à Paul Watson, et à toute personne agissant de concert avec lui, de s'attaquer aux navires de l'IRC ou à toute personne se trouvant sur ces navires, ou de naviguer d'une manière susceptible de mettre en danger la sécurité de la navigation de ces navires ; L'injonction précise qu'au aucun cas, les défendeurs ne devront approcher les navires des demandeurs à moins de 500 yards (soit 457 mètres) lorsqu'ils sont en haute mer. Le juge précise que l'injonction restera en vigueur jusqu'à ce qu'il soit émis une opinion sur le bien-fondé du recours.
Cette décision, sortie un peu de nul part, ne pouvait qu'augurer de futures désillusions pour l'ONG. Ces craintes se concrétiseront le 25 février 2013 avec la décision du juge qui s'avère être à l'exact opposé de celle de 2012, considérant SEA SHEPHERD, ses navires, et ses membres d'équipage, comme des pirates et devant être traités comme tels (Il ne reste plus qu'à dresser le gibet).
Pour le juge, "il n'est pas nécessaire d'avoir une jambe de bois ou un bandeau sur l'œil" pour être un pirate (...) ; "Quand on percute des navires, qu'on lance des conteneurs d'acide, qu'on jette des cordes renforcées d'acier dans l'eau pour endommager hélices et gouvernail, qu'on envoie des bombes fumigènes (...), on est, sans le moindre doute, un pirate". Et cela est vrai "quels que soient les bons sentiments que l'on croit défendre dans sa cause", a-t-il martelé en prononçant son jugement, qui qualifie Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd, de personnage "excentrique".
Dans son arrêt, la cour d'appel a autorisé l'Institut à poursuivre ses actions en justice, estimant que les plaignants sont "des chercheurs japonais" qui chassent la baleine dans une zone réglementée par une convention internationale que les Etats-Unis et le Japon ont signée. Le Japon tue des baleines en vertu d'une tolérance de la Commission baleinière internationale pour la chasse à des fins de recherche, bien que la chair des animaux finisse sur les étals nippons.
Le juge revient ensuite sur chacun des arguments avancés par le juge de première instance. Ainsi, concernant la piraterie, le juge Kozinski considère lui que les actions de SEA SHEPHERD sont commises "à des fins privées", ouvrant ainsi la voie à la qualification de piraterie au sens de la convention de Montego Bay, ce critère ayant été jugé comme absent par le juge de 1ière instance, empêchant ainsi que les actes de l'ONG puissent être qualifiés de piraterie au sens de la convention de 1982.
Le juge Kozinski a une toute autre vision des choses et s'appuie notamment sur une décision rendue par la Cour de Cassation Belge en 1986 dans un dossier assez similaire opposant un armateur belge à Greenpeace et dans lequel les juges avaient eu à se prononcer sur ce point de la motivation des militants écologistes. Constatant que la convention de Montego Bay énonce que la piraterie est motivée par des "fins privées", La Cour de Cassation avait alors suivi la cour d'appel qui avait estimé à cet égard estimé qu'il y avait but personnel puisque « Greenpeace » cherchait à réaliser son objet social : alerter l'opinion publique mondiale sur la dégradation de l'environnement. La Cour de cassation avait ainsi rejeté le pourvoi interjeté à ce propos contre l'arrêt aux motifs que « Attendu que les demandeurs n'allèguent pas que des actes litigieux auraient été commis dans l'intérêt ou au détriment d'un Etat ou d'un régime d'État et non uniquement pour défendre une position propre concernant un problème déterminé, celui-ci eût-il revêtu un aspect politique ; Que, partant, la cour d'Appel a décidé légalement que les actes litigieux ont été commis pour des buts personnels au terme de l'article 15, alinéa 1er (de la convention sur la Haute Mer de 1958 NDR). Cette décision avait à l'époque suscité de nombreux commentaires et interrogations sur ce point. Ainsi, dans le Revue Belge de Droit International de 1989, pouvait-on lire sous la plume d'Eric David le commentaire suivant : "Il demeure que, même si l'on considère que ces actions étaient constitutives de violence, il est raisonnablement difficile de soutenir qu'elles étaient « personnelles » ou « privées » parce qu'elles réalisaient l'objet social du mouvement. En réalité, elles mettaient en cause une certaine gestion de la société, c'est-à-dire la politique d'un Etat qui autorise des déversements de matières toxiques ; ces actions étaient donc motivées non par la recherche d'un profit égoïste et personnel, mais par la poursuite d'un idéal politique et social : améliorer la vie de la société en général et non celle de quelques individus (24). Mettre les actions de Greenpeace sur le même plan que celles des pirates malais ou thaïlandais contre les boat people vietnamiens revient à faire fi du sens commun des mots. Greenpeace agissait non comme hostis, mais comme amicus humani generis !"
En 2013, l'histoire semble se répéter. Sur son blog, Jean-Paul Pancracio souligne que "si l'on veut que le droit ait un sens, il faut que les juges, tant internes qu'internationaux, sachent conserver aux concepts qu'ils utilisent un sens précis et rigoureux.
Or dans la définition de la piraterie il y a les éléments suivants : un acte de violence, commis en haute mer, de l'extérieur, à des fins privées (entendre ici des fins de lucre) à l'encontre d'un navire, de son équipage et de ses passagers. En l'espèce, s'il y a bien usage d'une certaine forme de violence non létale et sans armes, la finalité du lucre en est absente. L'intention de Sea Shepherd n'est aucunement de s'approprier le navire ni les biens ou des personnes à son bord. Il s'agit donc typiquement de ce que l'on appelle un acte de violence en mer ! Et non d'un acte de piraterie. On pourrait opiner dans le sens du juge américain en considérant que Sea Shepherd, même s'il ne poursuit pas un but de lucre, cherche à réaliser un but privé puisqu'il s'érige en justicier « privé » dans un combat dont l'ONG, une association, donc une personne morale de droit privé, a décidé par elle-même qu'il était juste et légitime. C'est clairement ce qu'a voulu entendre le juge, quitte à faire une application quelque peu abusive de la notion d'acte de piraterie. Bien, bien ! Mais si pirate il y a... So what ? C'est en tout cas la première fois que l'on verra un pirate condamné à une injonction de ne pas s'approcher à moins de 500 yards de ses « proies » potentielles".
Bien que nous partagions totalement l'avis du professeur Pancracio, le juge a lui une vision tout autre de la piraterie et de la notion et des actes de violence. Pour lui, le juge Jones a commis des erreurs en ne considérant pas les actes de SEA SHEPHERD comme violents au sens du Droit International. Selon lui, l'interprétation de la Cour de district de la «violence» était également fausse en estimant que les actes de SEA SHEPHERD n'étaient pas violents car ne visant que les navires et équipement plutôt que les personnes. Cela va à l'encontre de la convention UNCLOS elle-même, qui interdit «la violence. . . contre un autre navire » et la « violence. . . contre des personnes ou des biens ». Selon le juge Kozinski, la «violence» doit s'entendre comme s'étendant aux actes de malveillance contre des objets inanimés et endommager des navires, bloquer des hélices, lancer des projectiles enflammés et remplis d'acide peuvent facilement être qualifier d'activités violentes, même si celles-ci sont dirigées uniquement contre des objets inanimés.
A notre avis, et comme le souligne le professeur Pancracio, le juge oublie un élément fondamental de la piraterie au sens de la convention de Montego Bay et du sens même de la notion de piraterie maritime, à savoir que le but d'un pirate est de s'emparer par la force du navire qu'il aborde ou de s'emparer de ce qu'il contient. Ici rien de tel et celà aurait du suffire au juge pour considérer que les actes de SEA SHEPHERD ne peuvent être de la piraterie au sens du Droit International.
Et s'il fallait rajouter un autre élement, ce serait celui du pavillon. Par nature, un pirate n'arbore le pavillon d'aucun Etat, ne se soumettant à aucune Loi. Dans le cas présent, les navires de SEA SHEPHERD arborent des pavillons d'Etat comme les Pays Bas ou l'Australie. Toute la logique de la convention de 1982 voudrait que les actes de SEA SHEPHERD, s'ils consitutent des délits ou des crimes, relèvent de l'Etat du Pavillon. Or, en l'espèce, aucun des membres d'équipage des navires de l'ONG n'a jamais fait l'objet de poursuites par les Etats du pavillon.
Quant à la convention SUA, également écartée par le juge de première instance, elle a, selon Kozinski, au contraire, tout à fait vocation à s'appliquer. Selon lui, la Convention SUA interdit les actes qui mettent en danger ou tentent de mettre en danger la sécurité de la navigation d'un navire (article 3 de la convention SUA). Pour le juge, l'ICR a présenté des preuves (non contredites) de ce que les tactiques de Sea Shepherd pouvaient nuire gravement aux capacités de navigation des navires baleiniers mais que pour autant, le tribunal de district a néanmoins conclu que Sea Shepherd n'avait encore jamais réussi à interrompre ou mettre en danger la navigation des baleiniers et qu'il y avait peu de chances qu'il y parvienne dans l'avenir ; Et qu'en concluant ainsi, il a fait une erreur manifeste et a mal appliqué le texte même de la Convention, qui interdit de mettre en péril la sécurité de la navigation.
Cela signifie que le fait pour Sea Shepherd de créer des conditions dangereuses, indépendamment des conséquences, suffit à permettre l'application de la convention SUA, d'autant que les tactiques de SEA SHEPHERD sont réellement dangereuses, le dossier révélant qu'il a éperonné et coulé plusieurs autres baleinière navires dans le passé. Le tribunal de district a également commis une erreur en omettant de reconnaître que Sea Shepherd, à tout le moins, tenté de mettre en danger la navigation des navires de l'ICR. Une tentative est suffisante pour invoquer la Convention SUA, même en cas d'échec. Les affirmations de SEA SHEPHERD quant au caractère symbolique des attaques et menées afin d'assurer un maximum de sécurité sont fallacieuses car sinon, comment peut-il expliquer qu'il a tenté de bloquer les hélices des baleiniers avec des cordes renforcées de métal et non des cordes "normales", moins destructrices. Le Symbolisme n'exige pas non plus la mer une telle proximité des navires les uns des autres.
La conclusion du tribunal de district refusant l'application de la convention SUA reposait sur une mauvaise appréciation des faites et d'une d'une erreur d'application de la loi et d'un abus de pouvoir.
Au terme de sa démonstration, le juge Kozinski casse en tous points la décision de première instance, maintient son ordonnance, et demande à ce que l'affaire soit à nouveau jugé mais devant un autre juge que celui ayant rendu la décision de première instance, le juge Kozinski considérant en effet qu'en raison des nombreuses, graves et évidentes erreurs du juge de district identifiés dans son arrêt, cela soulève des doutes quant à l'impartialité du juge Jones dans une affaire très médiatisée. Il considère que la justice serait mieux servie si l'affaire était transférée à un autre juge de district, tiré au sort... Ce fait semble assez rare et a fait l'objet d'une réserve de la part d'un des juges formant la juridiction.
Quoi qu'il en soit, à ce jour, SEA SHEPHERD est bien considérée comme ayant commis des actes de piraterie sur les navires "de recherche" japonais", le recours de l'ONG devant la Cour Suprême pour faire suspendre l'injonction du juge Kozinski ayant également été rejetée (sans motivation) le 13 février 2013.
Et comme celà ne suffisait pas, le fondateur de l'ONG est également sous le coup de deux "notices rouges" lancées par Interpol. Interpellé à Francfort en mai 2012 à la suite d'un mandat émis par le Costa-Rica au sujet d'une vieille affaire d'il y a plus de dix ans et fort opportunément relancée au moment ou l'organisation faisait face au procès intenté par l'IRC aux Etats Unis, Paul Watson s'est soustrait à son assignation à domicile le 22 juillet 2012 afin d'éviter une extradition qui le menaçait en embarquant sur un de ses propres navires.
Sans vouloir jouer la paranoïa ou la théorie du complot, on ne peut cependant que constater que les "appareils d'Etat", très probablement fortement sollicités par les intérêts économiques malmenés par SEA SHEPHERD donnent désormais la pleine mesure de leurs capacités à restreindre les actions de l'ONG et de son fondateur.
A la lecture de ces deux jugements, de l'avis du professeur Pancracio, de l'arrêt de la Cour de Cassation Belge (et de ses commentaires), il est difficile de se faire une opinion complètement tranchée sans y mettre un peu d'affectif, Paul Watson et SEA SHEPHERD étant objectivement, comme lorsque Greenpeace s'opposait au jet de fûts toxiques en mer, des amicus humani generi et non des hostes humani generis....
Ainsi, sur la piraterie, je penche très nettement sur la position du juge Jones, à savoir qu'en l'absence de tout but de lucre, il est difficile de considérer les actes de SEA SHEPHERD comme de la piraterie. Sans doute leurs actes relèveraient-ils sans doute plus de la convention SUA, plus large quand aux actes pouvant conduire à une infraction pénale, encore que les actions de l'ONG sont conduites et organisées d'une telle manière que justement, elles ne puissent être considérées comme des actes de violence volontaires envers les hommes et les biens ; Il s'agit de la fameuse ligne jaune dont parle Steve Watson lorsque, lorsque, participant à une conférence à l'académie du FBI en Virginie ou un agent lui faisait remarquer que "la ligne qui sépare les actions de SEA SHEPHERD de l'illégalité était très fine, il répondit que "peu importe que la ligne soit fine du moment que nous ne la franchissons pas";
C'est aussi notre avis, d'autant qu'il faut rappeler, comme l'a fait le juge Jones, que la justice n'est intervenu dans cette lutte qu'en raison de la défaillance des Etats à faire appliquer les conventions et traités qu'ils ont eux-mêmes signés. Il est dès lors difficile de reprocher à SEA SHEPHERD de tenter, avec ses moyens, de les faire appliquer....
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