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Logo Pirate Hiver Sans Diaphgrame Paysage 2018Pour cet article de reprise des parutions sur Fortunes de Mer, je vais me consacrer à un sujet particulièrement central dans le Droit Maritime sur lequel je souhaitais écrire depuis fort longtemps : A-t-on le droit de hisser un pavillon pirate sur un navire marchand ou de plaisance ?
Ma coupable passion pour la piraterie ne pouvait passer à côté d'un tel sujet qui donne lieu régulièrement à des articles sur Internet ou dans la presse.
Cette question qui paraîtra forcément futile et sans le moindre intérêt pour la majorité d'entre vous, renvoie tout de même à un corpus législatif relativement riche à travers les âges et à une autre question : l'habit fait-il le moine ?


Ce débat n'a cependant de sens que dans la mesure ou l'accepte par précepte que le pavillon pirate est celui de notre imaginaire, à savoir un pavillon noir orné d'une tête de mort surmontant deux fémurs ou deux sabres entrecroisés. Ce sont en effet ces pavillons et d'autres inspirés de ce modèle de base (rappelons qu'il n'existe pas de drapeau...mais des pavillons) qui sont communément associés à la piraterie.
Partant de là, remontons un peu le temps, à la recherche de ce que nos lointains législateurs avaient promulgué en matière de pavillons. Et l'on va se rendre compte que ce sujet a fait l'objet de nombreux textes avant d'aboutir à la réglementation actuelle, toute récente, puisqu'elle date de 1929, étant précisé que ce texte ne fait aucune référence de quelque manière que ce soit à la piraterie ; 
Notre parcours débute par une ordonnance du Roy François 1er donnée à Abbeville en juillet 1517 (1) dans un « Edit de règlement pour les attributions et la juridiction de l'Amirauté de Guyenne ». Dans ce texte, il ainsi prévu à l'article 19 que « tout navire allant par la mer et à nous obeyssant, à qui qu'il soit, ne quelque bannière qu'il porte, doyt porter les bannières, estandars et enseignes de nostredict admirail ». Outre l'obligation de porter la marque de l'Amiral, il n'est donc pas impossible de porter sa propre bannière.
A l'époque, le « jolly roger » n'avait pas encore fait son apparition mais les mers étaient, comme encore aujourd'hui, infestées de pirates, la découverte des Amériques quelques années plus tôt leur offrant de formidables espaces ou se livrer à leurs activités.
Quelques années plus tard, le 10 mars 1543 (2) , ce même roi (pour encore quelques années) signe les « Ordonnances royaux sur le faict de l'amirauté, jurisdiction d'icelle et tout ce qui en despend ». Reprenant en partie la rédaction de 1517, son article 15 dispose que « Item, tous Navires allant par la mer sous nostre obéissance à quelques personnes qu'ils soyent & appartiennent, seront tenus de porter les bannières, estendarts ou enseignes dudict Admiral : lequel pourra en iceux Navires mettre bannières, & estandarts, enseignes, trompettes & menestriers à son plaisir ». Dans cette ordonnance, la règle se fait donc plus précise même si l'esprit reste le même, liberté étant donnée d'agrémenter son navire pour tout et autant que la règle de base soit respectée.
Quelques années plus tard, en 1584, Henri III revient sur le sujet dans son « Edit sur l'amirauté » (3) et un article XXVII dont la première partie est l'exacte reproduction du texte publié en 1543. Ce texte ne change donc pas la règle en la matière.
Encore quelques années plus tard, l'ordonnance de son altesse le Roi Louis XIV donnée à Fontainebleau le 9 octobre 1661(4)  « sur les pavillons des vaisseaux marchands » vient encadrer et distinguer ce qui relève des vaisseaux de sa majesté et les vaisseaux marchands, « constatant les libertés prises par les Capitaines, Maîtres et Patrons de vaisseaux d'arborer le pavillon blanc alors qu'ils ne doivent arborer que l'ancien pavillon de de la nation françoise, qui est la croix blanche dans un étendard d'étoffe bleue, avec l'écu des armes de sa majesté sur le tout ».

La règle sur les pavillons d'agrément n'en est pas modifiée mais cette nouvelle ordonnance montre l'imagination des armateurs pour se montrer imaginatifs afin de se distinguer.
Un nouveau règlement du 12 juillet 1670 (5) viendra encore préciser les modalités de port des pavillons, flames, & autres marques de commandement sans changer le fond de la règle.
La plus célèbre des ordonnances, celle dite du sieur Colbert d'août 1681 (6) n'apporte pas grand-chose à la matière en précisant uniquement en son article VII (Livre Ier, Titre Ier) que « le vaisseau que l'amiral montaera, portera pavillon quarré blanc au grand mât et les quatre fanaux ».
Il faudra attendre 1689 (7) pour voir arriver des règles clairement spécifiques aux vaisseaux marchands dans une ordonnance de Louis XIV "pour les armées navales & arsenaux de la Marine. Ainsi, au livre second, Titre III, article Ier, il est ainsi prévu que « les vaisseaux marchands porteront l'enseigne de poupe bleue avec une croix blanche, & les armes de Sa Majesté sur le tout, ou telle autre distinction qu'ils jugeront à propos, pourvu que leur enseigne de poupe ne fût point entièrement blanche ».
En 1765 (8) , l'ordonnance du 15 mars reprend dans son article 226 (titre IX, Livre III) pratiquement mot pour mot l'ordonnance de 1765 en indiquant que « Permet sa Majesté aux Commandans des vaisseaux marchands, de porter à poupe de leurs bâtimens une enseigne blanche, & d'y joindre telle marque de reconnoissance qu'ils jugeront à propos ».
Cette même ordonnance permet également aux navires marchands d'arborer le pavillon blanc pour remplacer toute une foule de pavillons divers que les restrictions des différents Edits et Ordonnances précédents avaient fait naître.
En 1790, le pavillon blanc disparaît et laisse sa place au pavillon tricolore. Rien n'évoluera jusqu'en 1817 avec la parution, sous le règne de Louis XVIII, d'un règlement sur les pavillons des navires du commerce (9).
Dans le préambule, il est indiqué que « la faculté laissée aux armateurs de choisir les marques à l'aide desquelles ils distinguent leurs navires, n'est pas assujettie à une règle constante qui soit propre à faciliter la police des bâtimens dans les rades et ports, comme à prévenir des méprises qui, à la mer, pourraient avoir des suites fâcheuses ».
Son article 1er dispose donc que « conformément à l'ordonnance de 1765 (article 236, Titre IX), les armateurs de navires continueront d'avoir la faculté de joindre une marque de reconnaissance au pavillon français ».
L'article 2 précise également qu'un pavillon spécial sera affecté à chacun des arrondissements maritimes.
Je n'en mentionnerai ici que deux, à savoir celui de l'arrondissement de Cherbourg, applicable de Dunkerque à Honfleur et se caractérisant par une cornette à quatre bandes horizontales et alternativement bleues et blanches, et celui de l'arrondissement de Brest, valable de Brest à Quimper (on suppose que l'Odet fait office de limite), se caractérisant par une cornette à quatre bandes horizontales et alternativement bleues et jaunes.
Quant à l'article 6, il dispose que « les armateurs seront tenus de faire connaître au bureau de l'inscription maritime les marques de reconnaissance dont ils voudront faire usage, et ils ne pourront les employer qu'après avoir fait la déclaration, qui sera enregistrée et mentionnée sur le rôle d'équipage du navire ».
Il s'agit du premier texte consacré spécifiquement à ce sujet. Il constitue la trame de la réglementation actuelle et le Décret du 15 août 1851 ne fait que confirmer les règles prévues par le règlement de 1817.
En 1929, le 19 août, paraît un nouveau décret au Journal officiel sur « la réglementation de la police du pavillon des navires de commerce, de pêche et de plaisance », dont le but est « d'adapter aux conditions actuelles de la navigation les dispositions sur la matière, dispositions déjà anciennes et qui remontent notamment au règlement royal du 3 décembre 1817 ».
Ce décret, pris en application du Décret du 17 décembre 1926 portant Code disciplinaire et pénal de la marine marchande et notamment de son article 63, dispose désormais en son article 4 que « les armateurs des navires francisés peuvent, s'ils le jugent convenable, joindre au pavillon national un marque ou guidon particulier de reconnaissance. Ces marques ou guidons ne peuvent être utilisés qu'après avoir été autorisés par administrateur de l'inscription maritime du port où le bâtiment est immatriculé. Les marques de reconnaissance sont hissées en tête de mât. Elles ne doivent jamais être mises à la place réservée au pavillon national ».
Le Décret du 24 novembre 1934, modifiant celui de 1929 n'a pas changé la donne en la matière et ce texte de 1929 constitue donc la base réglementaire encore applicable à ce jour, malgré de nombreuses réformes et refontes du corpus législatif et règlementaire depuis cette date.
Maintenant que ce « bref historique » est rappelé, que peut-on en conclure ?
D'abord, et pour ma part, je dois considérer que contrairement à ce que j'ai lu sur de nombreux sites, je considère que non, arborer un drapeau dit « pirate » avec sa tête de mort et ses « cross bones » n'est pas en soi interdit.
Mais je dois aussi ajouter dans le même instant que cela ne peut être qu'une marque de reconnaissance, autorisée par l'administrateur des affaires maritimes et ne saurait prendre la place réservée au pavillon national qui est une marque de la nationalité du navire et dont l'absence ou le remplacement par un pavillon « pirate » ou tout autre d'ailleurs, expose son contrevenant (et non le pirate comme on le verra plus tard) à une amende et une peine de prison, que l'on espère avec sursis...
Pour ceux qui seraient tentés néanmoins par l'aventure du pavillon de reconnaissance, l'obstacle majeur sera sans doute d'obtenir l'autorisation de l'administrateur des affaires maritimes qui risque de ne pas accepter ce type de pavillon pour plusieurs raisons :
- Son imaginaire qui l'amènerait à confondre un pavillon avec un acte juridique (piraterie)
- De manière plus objective et compréhensible, un pavillon de reconnaissance qui n'aurait aucune originalité et ne serait qu'un emprunt à ceux de pirates ayant existé ou une simple tête de mort, affublée ou non de ses tibias.
Sur ce dernier point, on ne pourrait donc que conseiller à ceux qui tenteraient leur chance auprès d'un administrateur des affaires maritimes, d'arriver avec un pavillon original, créé par leurs soins et se distinguant de tout ce qui a été déjà fait ou de ce qui se fait dans le commerce.
Ainsi, votre dévoué serviteur dispose de son propre pavillon ou chaque pièce de celui-ci a une signification précise.
Pour autant, si d'aventure un contrôleur ou un administrateur venait à poursuivre un malheureux armateur ou plaisancier pour avoir arborer comme pavillon de reconnaissance un pavillon dit « pirate » ne ferait pour autant pas de ceux-ci des pirates au sens légal du terme car fort heureusement, le pavillon ne fait pas le pirate, pas plus que l'habit ne fait le moine.
En effet, la piraterie est avant tout un acte, défini comme tel dans le corpus législatif national et international.
La piraterie, qui avait disparu du corpus législatif français en 2007 avec l'abrogation de la loi de 1825, a refait son apparition en 2011 en rapprochant sa définition sur celle figurant dans la convention des Nations unies sur le droit de la mer signée à Montego Bay le 10 décembre 1982.
Réprimée comme un crime, et donc passible des assises, il est fort heureux que nos armateurs et plaisanciers qui souhaiteraient uniquement arborer ce type de pavillon ne soient pas punis du « dernier supplice » comme pouvaient l'être ceux qui étaient capturés et exécutés après avoir été reconnus et condamnés comme pirates, avec au choix la corde, la planche, la petite ou la grande cale, ou encore la bouline....
Mais il me faut conclure sur ce point de droit essentiel à notre droit maritime mais qui me tenait à cœur.
Arborer comme marque personnelle (au sens où je l'ai mentionné dans cet article) un pavillon inspiré des pirates les plus célèbres ne m'apparaît comme n'étant aucunement interdit.
Vous devez uniquement respecter la Loi du pavillon français en lui laissant la préséance.
Mais il se pose alors une autre question, plus philosophique : Peut-on arborer deux pavillons si riches de symboles comme le Pavillon Français et un pavillon inspiré de l'idéologie pirate ? Je vous laisse y réfléchir.

 

Sources :

 

- (1) Ordonnance du Roy François 1er donnée à Abbeville en juillet 1517 in Levasseur Émile, Ordonnances des Rois de France. Règne de François Ier – Tome deuxième 1517-1520, Académie des Sciences Morales et Politiques, p.113, disponible sur Gallica 

- (2) Ordonnances royaux sur le faict de l'amirauté, jurisdiction d'icelle et tout ce qui en despend. Voir Gallica

- (3) Edit sur l'Amirauté du mois de mars 1584, in Jean-Marie Pardessus, Collection de lois maritimes antérieures au XVIIIe siècle, Volume 4, Imprimerie Royale ; p;295 Voir Gallica

- (4) Ordonnance du Roi « sur les pavillons des vaisseaux marchands » donnée à Fontainebleau le 9 octobre 1661, in Code des armées navales, ou Recueil des édits, déclarations, ordonnances et règlemens sur le fait de la Marine du Roi, depuis le commencement du règne de Louis XIV, jusques 1757, Bourdot de Richebourg, Claude-Étienne ;  p13. Voir Gallica

- (5) Règlement du Roi "sur les pavillons, flames et autres marques de commandement et reconnaissance que Sa majesté veut être portées par ses vaisseaux, même pour les saluts qu'elle veut être donnés & reçus par lesdits vaisseaux", donnée à Saint-Gemain en Laye, le 12 juillet 1670, in Code des armées navales, ou Recueil des édits, déclarations, ordonnances et règlemens sur le fait de la Marine du Roi, depuis le commencement du règne de Louis XIV, jusques 1757, Bourdot de Richebourg, Claude-Étienne ;  p19. Voir Gallica

- (6) Ordonnance sur la Marine d'Août 1681 in "Ordonnance de la Marine du mois d'aoust 1681, commentées et conférée avec les anciennes ordonnances, & le droit écrit, avec les nouveaux règlements concernant la marine, Tome premier ; Valin René-Josué, 1776 ; Editions Jérôme Legier, p 70. Voir Gallica 

- (7) Ordonnance de Louis XIV pour les armées navales & arsenaux de marine . Du 15 avril 1689. Nouvelle édition, augmentée des deux règlemens par colonnes, Chez Prault à Paris 1764 ; p75 ; Voir Gallica 

- (8) Ordonnance du Roi, concernant la marine du 25 Mars 1765, Imprimerie Royale. Voir Google 

- (9) Règlement sur les pavillons des navires du Commerce donnée au Château des Tuileries le 3 décembre 1817, in Bulletin des Lois du Royaume de France n°186 (numéro 3310) p409. Voir Gallica

- (10) Décret du 15 août 1851, Bulletin des lois de la République Française n°451 Decret sur le service à bord des bâtiments de la flotte, p 587. Voir Gallica

- (11) Décret du 19 août 1929, JO du 21 août 1929,p 9795

- (12) Décret du 24 novembre 1934, JO du 29 novembre 1934, p 11733

- (13) Circulaire du 1er octobre 1937, JO du 7 octobre 1937, p 11345. Voir Gallica

- (14) Autre source : Les drapeaux français - Etude Historique par le Comte Louis de Bouillé ; Librairie Militaire de J Dumaine ; 1875. Voir Google 

- (15) Autre source : Savérien, Alexandre. Dictionnaire historique, théorique et pratique de marine, Tome second par M. Savérien. 1758. p.202 et s. Voir Gallica

 

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