Chaque année qui passe apporte son lot de surprises dans cette affaire vieille de bientôt 12 ans. Nous en sommes à la cinquième décision de justice et rien n'indique que ce soit la dernière, tant celle rendue par la Cour d'Appel de Paris le 12 avril 2013 ne peut qu'entraîner un pourvoi en cassation de la part des assureurs concernés.
Après 12 ans de procédure, le propriétaire de la péniche LEYDEN doit être satisfait et se dire que tout vient à point à qui sait attendre et que la justice, aussi aveugle qu'elle puisse être, n'en sait pas moins être d'une étonnante générosité.
Rappelons (très) brièvement les faits. Le 22 octobre 2001, la péniche Leyden coule dans le port d'Ilon. Assurée en "corps et machines" auprès de la compagnie Groupama-Transport, son propriétaire se voit refuser la garantie des assureurs, notamment aux motifs que l'hypothèque grevant le bateau assuré aurait du faire l'objet d'une déclaration auprès des assureurs, obligation tirée d'un article des conditions générales du contrat.
Le Tribunal de Grande Instance statue en faveur de l'assuré et considère la clause comme non conforme aux exigences posées par le Code des Assurances. La jugement, infirmé par la Cour d'Appel, fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de Cassation, laquelle casse partiellement l'arrêt rendu par la Cour d'Appel.
Cette dernière, statuant sur renvoi, revient sur sa position et donne raison à l'assuré, tout en renvoyant à un autre jugement la détermination du préjudice de l'assuré.
Et loin d'être au bout de leurs peines après la décision de la Cour d'Appel (1), les assureurs du Leyden ont très certainement eu de nouvelles sueurs froides à la lecture de ce nouvel arrêt ; En effet, les juges ne se contentent pas de les condamner à payer ce que la police prévoyait lors de sa souscription, mais les condamnent également, sur la base de l'article 1150 du Code Civil, à indemniser l'assuré du préjudice né du refus de la compagnie d'appliquer la garantie d'assurance, ce refus ayant entraîné une perte de jouissance entre de son bien entre la date de la perte totale et la date de condamnation des assureurs.
Cet article, dont la rédaction n'a pas évolué depuis 1804, dispose que "Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée".
Pour les juges, les assureurs ne peuvent légitimement invoquer le fait que cet article ne trouverait pas à s'appliquer au motif que le dommage aurait été imprévisible ; Et les juges d'ajouter que la compagnie d'assurance ne pouvait ignorer, lors de la conclusion du contrat d'assurance, que l'inexécution par elle de son obligation de garantie était de nature à priver l'assuré de la jouissance de sa péniche qui lui servait de résidence principale, la police étant souscrite pour couvrir les dommages subis par le bateau et assurer la péniche au titre de la garantie multirisques habitation ;
La Cour justifie sa position en indiquant qu'il est indéniable que le défaut de versement par l'assureur des indemnités permettant à l'assuré de financer les travaux de remise en état de la péniche ou son remplacement est directement à l'origine du préjudice de jouissance de l'assuré, préjudice qui doit être indemnisé indépendamment de la justification des frais effectivement supportés par lui pour se reloger.
Dans leurs conclusions, les assureurs avaient bien entendu tenté de s'opposer à l'application de cet article en arguant que celui-ci n'était pas applicable, le refus de garantie qu'elle a opposé à l'assuré ne faisant pas partie des dommages pouvant être prévus lors de la conclusion du contrat. Pour les assureurs, seul pouvait s'appliquer l'article 1153 alinéa 4 aux termes duquel l'allocation de dommages et intérêts en cas de retard ou d'inexécution est conditionnée à la démonstration de la mauvaise foi du débiteur ; Or, le refus de garantie de l'assureur ne peut à lui seul caractériser une résistance abusive susceptible de donner lieu à une indemnisation distincte et les motifs opposés par l'assureur pour refuser sa garantie en l'espèce étaient légitimes car fondés sur des clauses de la police.
Ce nouveau rebondissement a de quoi inquiéter les assureurs, quels qu'ils soient. Une confirmation de ce jugement signifierait que les assureurs pourraient être tenus d'indemniser les assurés pour les conséquences d'une décision prise en application de leur police. Certes, l'arrêt circonscrit l'indemnisation aux conséquences dune décision erronée mais elle pourrait avoir des effets ravageurs et surtout contagieux.
(1) dont on rappellera que les conséquences devraient aller largement au delà du cas d'espèce