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COSTA CONCORDIA : Les élus et la ministre sont "hors zone"


tag-reuters2Le Droit Maritime ne fait sans doute pas parti des préoccupations majeures de nos élus. En témoigne à nouveau cet exemple offert par le Maire de Bastia, Gilles Simeoni, qui, dans un courrier publié sur son compte « facebook » le 15 juillet dernier, a interpellé la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, pour l'alerter sur les risques de pollution liés au passage de ce qui reste du Costa Concordia au large des Côtes de l'île de Beauté.
Dans son courrier, le maire indique que ces opérations sont « potentiellement dangereuses en termes de risques environnementaux et de pollution » et demande donc quelles sont les dispositions prises pour éviter toute éventuelle pollution, mentionnant « un rapport interne de l'armateur » du Concordia, selon lequel « pendant le transfert, il est possible qu'il y ait des rejets en mer d'eaux intérieures, de substances, d'hydrocarbures » présentant, selon l'édile, « un impact environnemental non négligeable ».
Les opérations de renflouement du paquebot, dont le naufrage, le 13 janvier 2012 sur le rivage de l'île toscane du Giglio a causé la mort de 32 personnes, ont débuté le 14 juillet 2014.
Le remorquage vers le port italien de Gênes, où il doit être démantelé, doit débuter lui le 20 juillet et la route prévue prévoit un passage à 25 km des côtes corses.
Mais « les Corses n'ont pas été consultés. » et le risque de pollution, ajoute Gilles Simeoni, est « majoré par le mauvais état de l'assise de l'épave ». Toute éventuelle pollution serait susceptible d'impacter directement les côtes bastiaises, du Cap corse, voire de la Plaine orientale (au Sud de Bastia, ndlr), lesquelles constituent une richesse majeure du patrimoine environnemental et économique de la Corse » a souligné le maire de Bastia, exprimant son « étonnement face à l'absence de communication officielle de la part des services de l'Etat ». « De même et à ma connaissance", a-t-il ajouté, « ni les Corses ni leurs élus n'ont été consultés ou simplement informés des risques éventuels engendrés par ces opérations de remorquage et des précautions prises pour les faire disparaître ».


Dans le même registre, Jean Christophe Angelini, secrétaire général du Parti de la nation corse (PNC), conseiller territorial de l'Assemblée de Corse et conseiller général du canton de Porto-Vecchio, a déposé une proposition de motion au nom du groupe Femu a Corsica, visant à obtenir toutes les explications nécessaires au remorquage du navire. Cette motio, étudiée par l'Assemblée de Corse à la veille du départ du Costa Concordia, lors de la session des 17 et 18 juillet reprend peu ou prou les mêmes arguments avancés par Gilles Simeoni.
CCon 20140721 6340 8MP JH5La réponse de la Ministre ne s'est pas fait attendre. A la grande satisfaction des élus corses, et après avoir joint auparavant le maire de Bastia pour lui faire part de ses inquiétudes partagées, la ministre lui a adressé un courrier, indiquant qu'elle avait demandé au préfet maritime de Méditerranée, le vice-amiral d'escadre Yves Joly, afin que toutes les dispositions soient prises et d'être vigilant sur plusieurs points dont la fourniture de la preuve écrite et incontestable du pompage complet des réservoirs d'hydrocarbures, la preuve de l'absence de risques liés aux autres substances dangereuses : frigorigènes et lubrifiants résiduels ainsi que les informations précises concernant leur quantité et leur confinement, l'itinéraire précis du convoi (le flou entourant les informations contradictoires sur son itinéraire étant jugées inacceptables), des garanties sur les moyens d'accompagnement mis en place par les autorités italiennes en cas de difficultés.
Dans son courrier, et outre la confirmation de l'envoi sur zone du bâtiment de soutien d'assistance et de dépollution "JASON", afin d'accompagner le convoi en longeant la côte de Haute-Corse à la vitesse de celui-ci, la ministre indiquait rencontrer le jour même le Ministre italien de l'environnement et de la mer, Gianluca Galletti, pour lui indiquer que tant que les preuves évoquées dans le courrier n'auront pas été communiquées, il ne lui paraîtrait pas envisageable d'autoriser le départ du Costa Concordia.....
Le gouvernement italien a apprécié le ton de Madame Royal à sa juste mesure et a réagi par la voix de son ministre de l'environnement, en marge de sa rencontre avec notre ministre, indiquant qu'il n'acceptait pas que quiconque le rappelle à ses devoirs concernant le contrôle de ses mers, car c'est sa première préoccupation. Il rajoutait trouver « anormal » le timing, le ton et les modalités de la demande de Ségolène Royal....
Quant aux élus corses, ils poursuivent la mobilisation, fort de ce soutien ministériel, notamment par la voix de Gilles Simeoni qui, saluant « la réactivité de Madame la Ministre et la force politique de sa prise de position » et constatant « la fin de non-recevoir publique de l'Etat italien aux légitimes demandes ainsi formulées », indique que le doute persiste et s'accroît quant aux risques réels de pollution induits par cette opération imposée sans concertation à la Corse, et désormais à l'Etat français.
Pour l'édile, « personne dans l'île n'imagine s'accommoder d'un pareil coup de force, et ce d'autant mieux que les opérations de remorquage doivent commencer le mardi 22 juillet.
Le patrimoine écologique et environnemental de la Corse fait partie du patrimoine collectif des Corses. Les Etats comme les grands groupes et consortium privés doivent le comprendre, comme ils doivent comprendre que nous laisserons jamais ce patrimoine être menacé ou altéré.
Concernant le « Concordia », seule la mobilisation populaire est de nature à nous permettre d'obtenir les réponses et les garanties auxquelles la Corse et les Corses ont droit : nous devons obtenir les informations et garanties nécessaires avant le début des opérations de remorquage. En l'absence de ces informations et garanties, nous ne pouvons en aucun cas accepter en l'état que l'épave géante passe devant nos côtes, et notamment dans le périmètre du futur parc national marin, à proximité immédiate du Cap Corse.
CCon 20140721 6419 8MP JH51Tous les élus, syndicats, associations, et corporations désireux de se mobiliser sont donc invités à participer à une réunion en mairie de Bastia, le lundi 21 juillet à 10 heures, pour définir ensemble les modalités de la mobilisation à engager pour obtenir gain de cause. ».
A l'heure de cet article, le convoi est passé devant l'île de Corse, sans le moindre problème.
Nous sommes donc assez loin des propos d'Alain Mosconi, du Syndicat des travailleurs Corses qui confiait à la presse « Le plus gros danger, c'est cette eau polluée qui est restée dans le bateau pendant deux ans ; Nous sommes face à un Tchernobyl marin. ».
Quant à Madame la Ministre, elle s'est conformée à ses engagements et s'est rendue en Corse pour « suivre le convoi » en ce 24 juillet à bord du Jason, le navire mandaté par la France pour « suivre » le convoi.
Bref, beaucoup de gesticulations, de mots, de mouvements pour le passage du navire près de l'île de beauté.
Mais en quoi ce bisbille franco-italo-corse intéresse t'il Fortunes de Mer ; Eh bien, comme nous l'avons dit en introduction de cet article, en raison du peu de connaissances que nos hommes et femmes politiques semblent avoir du Droit Maritime.
Certes, il y a la politique, qui s'affranchit souvent de la règle de droit, à minima dans les paroles, mais quand même.
Quelques recherches auraient suffi, tant au maire de Bastia, aux différents acteurs, et au ministre, pour constater que l'Italie est dans son bon droit et qu'elle n'a, effectivement, aucune leçon, et encore moins d'ordres à recevoir de ses voisins.
Pour s'en convaincre, il faut revenir aux fondamentaux du Droit International Public, et aux délimitations des zones maritimes telles que prévues dans la convention de Montego Bay et d'autres accords locaux intervenus depuis.
Rappelons d'abord que les eaux territoriales d'un Etat s'étendent à 12 miles nautiques de côtes de la rive de l'Etat riverain. Soit environ 22.24 kilomètres. A l'intérieur de ses eaux territoriales, un État côtier dispose de droits souverains (sur la surface, les sous-sols et l'espace aérien), comme sur son territoire propre et ses eaux intérieures, pour y exercer l'ensemble de ses lois, réglementer toutes les utilisations et exploiter toutes les ressources ; il doit toutefois y autoriser le passage des navires de guerre et marchands en transit, à condition que ceux-ci ne lui fassent pas de tort, ne menacent pas sa sécurité et n'enfreignent pas ses lois : c'est le droit de passage inoffensif.
costa-concordia-16Au-delà de ces douze miles nautiques, la convention de Montego Bay prévoit la possibilité pour l'Etat côtier de disposer d'une zone contiguë qui est un espace maritime s'étendant, au-delà de la mer territoriale, jusqu'à 24 milles nautiques des côtes depuis la ligne de base droite, et où l'État côtier a le pouvoir d'exercer des droits de douane et de police : droits de poursuite et d'arrestation dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants, le trafic d'immigrants illégaux et la fraude fiscale et douanière.
Enfin, cette même convention prévoit la possibilité pour l'Etat côtier de disposer d'une Zone Economique Exclusive qui est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Elle s'étend à partir de la ligne de base de l'État jusqu'à 200 milles marins (environ 370 km) de ses côtes au maximum, au-delà il s'agit des eaux internationales.
Dans la zone économique exclusive, l'État côtier a :
- des droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu'en ce qui concerne d'autres activités tendant à l'exploration et à l'exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d'énergie à partir de l'eau, des courants et des vents ;
- juridiction en ce qui concerne la mise en place et l'utilisation d'îles artificielles, d'installations et d'ouvrages, la recherche scientifique marine, la protection et la préservation du milieu marin. »
Voilà pour les règles générales mais qui se sont révélées difficilement applicables en Méditerranée qui est une mer semi-fermée, bordée par de nombreux États. Les conditions géographiques de la zone ont conduit les États régionaux à s'accorder et, pour des raisons géopolitiques, à ne pas adopter, comme le leur permettrait la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, de zones économiques exclusives nationales.
En effet, la création de telles zones aurait indubitablement été à l'origine de tensions et différends quant à la détermination des délimitations maritimes. Cependant, les considérations environnementales grandissant, le gouvernement français a choisi, dans un souci de plus grande protection et d'action judiciaire contre les contrevenants (éviter l'impunité), de créer une ZEE en 2012.
2472-port-side-viewLa France avait pourtant déjà créé en 2004 une zone de protection écologique (ZPE), mais le régime de la ZPE n'offre qu'une protection partielle (protection contre les pollutions) et ne permet pas de lutter contre la pêche illicite dans les eaux allant au-delà des limites de la mer territoriale.
La ZPE permettait ainsi à la France de poursuivre les auteurs de pollution au-delà des 12 miles marins et dans la limite de la zone ; mais uniquement dans le cas des pollutions.
La protection offerte, était certes intéressante mais insuffisante pour assurer la préservation des ressources marines. Le gouvernement de l'époque avait donc annoncé, suite au Grenelle de l'environnement, la création d'une ZEE française en Méditerranée, qui a donc vu le jour en 2012.
Les contours de la ZEE française se calquent, comme l'indique le décret, sur ceux de la zone de protection écologique créée par la France en 2004. Plus précisément, la nouvelle zone « comprend deux parties séparées par les eaux territoriales entourant la Corse » (art. 1).
La délimitation de la ZEE figure dans le décret de création. Et si l'on compare cette zone avec la route choisie par les autorités italiennes pour acheminer le navire de l'île de Giglio à Gênes, on constate qu'à aucun moment, le navire ne pénètre dans des eaux ou l'Etat Français exerce des compétences juridictionnelles ou des droits souverains.
La trajectoire du navire, prévue pour rester à un minimum de 25 kilomètres des côtes corses, et cela n'est sans doute absolument pas dû au hasard mais volontairement planifié par les autorités italiennes et celles en charge du remorquage du navire, fait que le navire est resté, soit dans les eaux sous juridiction italienne ou en mer « libre ».
Autrement dit, et pour en revenir au titre de cet article, les élus corses sont « hors zone » et ils n'avaient donc aucune légitimité à s'opposer ou à demander quoi que ce soit à l'Etat Italien, même si l'on peut comprendre une appréhension à voir passer un navire comme le Costa Concordia.
Encore faut-il être mesuré quant à la pollution qu'aurait pu générer le navire, déjà vidé d'une partie de ses polluants quelques semaines après son naufrage, et surtout au regard de la pollution tellurique générale versus la pollution maritime .
Quant au ministre, sa demande de sursoir au départ du navire était tout simplement sans le moindre fondement juridique et l'on comprend dès lors la mauvaise humeur du ministre italien.
En résumé, un bien long article pour résumer une situation qui n'aurait pas eu lieu d'être. Les italiens font ce qu'ils veulent chez eux.
Messieurs les élus corses auraient pu s'éviter une gesticulation sans fondement et Madame la Ministre aurait pu éviter de mettre à mal les règles juridiques élémentaires applicables en Méditerranée.

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