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48a85cf2-1cae-4e0f-b90c-151be1522718 redressement-costa-concordia-14En à peine plus de temps qu'il n'en aura fallu pour redresser le COSTA CONCORDIA, la pression médiatique autour du paquebot est totalement retombée, probablement pour quelques mois. L'exploit technique réalisé par le consortium en charge du retirement du paquebot va devoir être transformé en un succès dont la concrétisation sera le départ du navire de l'île ou il est échoué depuis bientôt deux ans.
Au delà de l'aspect (et de l'exploit) technique, cette opération aura aussi permis de retrouver le corps de l'un deux derniers disparus, Russel Terence REBELLO, membre d'équipage de nationalité indienne. A ce jour, il ne reste plus qu'un corps à retrouver, celui de Maria Grazia TRECARICHI, passagère de nationalité italienne.
Ces évènements et ce brusque coup de projecteur sur le navire nous donnent également l'occasion de revenir sur certains aspects de ce naufrage car, pendant que les yeux sont tous rivés vers les côtes de l'île de Giglio, les affaires continuent, ou plutôt les procès se poursuivent, notamment aux Etats-Unis ou de nombreuses actions ont été intentées dès juillet 2012.
Ces actions visent Carnival Corporation, maison mère de Costa Crosiere, et dont le siège est en Floride. Pour les plaignants et leurs avocats, la domiciliation de Carnival Corporation en Floride doit suffire au juge pour accepter de "fixer" leur plainte aux Etats-Unis ou l'on sait également que les tribunaux peuvent être très généreux avec les victimes en matière de compensation financière.
Le cabinet Napoli Bern Ripka Shkolnik & Associates semble avoir été le premier à dégainer avec une plainte contre Carnival déposée le 5 juillet 2012 au nom d'une quarantaine de passagers, membres d'équipages, ayants droits, ou encore des tiers estimant avoir subi un préjudice à la suite du naufrage. Le cabinet réclame 590 millions de dollars au titre des "punitives damages" et 2 millions de dollars d'indemnité par plaignant.


Pour Carnival et les sociétés filiales qui ont été assignées, il a fallu riposter à ces demandes car le danger est grand de se laisser attraire devant les juridictions américaines, alors même que les juridictions italiennes semblaient toutes désignées pour suivre le dossier (lieu du sinistre, nationalité du capitaine, pavillon du navire, domiciliation de la compagnie propriétaire du navire, etc..).
Pour se défendre, Carnival et ses filiales ont utilisé deux arguments, dont l'un avec un certain succès, le concept juridique du "forum non conveniens". Cette théorie, qui s'est développée dans les pays dits de common law et qui trouve des applications dans plusieurs domaines du droit, sert ainsi de fondement à l'exercice ou au non-exercice de la compétence dans une affaire comportant des éléments d'extranéité. La Cour invoque alors ce principe pour veiller aux intérêts supérieurs des parties et éviter d'empiéter sur la compétence d'une autre juridiction. En préambule, peut-être convient-il de préciser que la décision du juge de se dessaisir d'une action au profit d'une juridiction étrangère sur le fondement de la théorie du forum non conveniens ne constitue nullement une décision rendue en pure opportunité.
justice1Tout au contraire, le juge est tenu de se conformer, lorsqu'il se prononce sur une demande de rejet pour cause de forum non conveniens, à un raisonnement précis et rigoureux. Cette théorie peut s'avérer utile à bien des égards en particulier à décourager toute velléité de forum shopping de la part d'un justiciable qui chercherait ainsi à initier une action devant une juridiction américaine par exemple et ce, alors même que ladite action ne présente aucun lien avec les États-Unis, la véritable raison d'être d'une telle action résidant dans l'espoir de bénéficier de la générosité des juridictions américaines en matière d'allocation de dommages et intérêts.
Les actions menées aux Etats-Unis dans le Cadre du dossier du Costa Concordia semblent clairement s'inscrire dans ce cadre et les décisions des juges auxquelles nous allons nous intéresser ont pratiquement toutes appliqué la règle du "forum non conveniens" et ont renvoyé les plaignants à mieux se pourvoir devant les juridictions italiennes.
Pour que le juge accède à cette demande des défendeurs, ces derniers devaient donc impérativement démontrer que les critères nécessaires à l'application de cette théorie étaient tous remplis et que les plaignants avaient vocation, de manière plus naturelle, à saisir les cours italiennes.
Dans les quatre décisions rendues en juillet 2013 par les juges de l'Etat de Floride et que nous nous sommes procurés (DENISE ABEID-SABA Case 12-26076-CA, WILHELMINA WARRICK Case 12-61389-CIV, GEOFFREY SCIMONE Case 12-26072, GIGLIO SUB Case 12-21680-CIV), le juge fait subir un test, aux cas qui lui étaient présentés, les règles définies par la jurisprudence de la Cour Suprême et de l'Etat de Floride, et ce afin de vérifier que la théorie du "forum non conveniens" pouvait ou non s'appliquer. Dans une décision datant de 1996 (Kinney Systems, Inc, v. Continental Insurance Co, 674 So.2d 86), la Cour Suprême de Floride, s'inquiétant de ce la Floride ne devienne le tribunal du monde et de ce que les impôts des contribuables locaux aient à payer pour la résolution de litiges ne concernant pas l'Etat de Floride, a rappelé les quatre conditions qui devaient être cumulativement remplies pour que la théorie puisse s'appliquer et permettre ainsi de rejeter la compétence des tribunaux américains.
carnival corporation plcEn premier lieu, le juge se doit de déterminer dans quelle mesure il existerait un for alternatif accessible et adéquat pouvant connaître du litige. Le juge américain ne peut rejeter une action sur le fondement de la théorie du forum non conveniens que si cette exigence est satisfaite, c'est-à-dire si le défendeur apporte la preuve que cette autre juridiction, d'une part, est également compétente pour connaître de l'affaire en cause et, d'autre part, permet aux demandeurs d'obtenir réparation des préjudices qu'ils allèguent ;
En second lieu et dans l'hypothèse où le juge estime qu'il existe un for alternatif conforme aux exigences exposées ci-avant, il doit alors mettre en balance un certain nombre de facteurs d'intérêts publics et privés, facteurs qui ont été précisément identifiés par la Cour suprême des États-Unis afin de déterminer quelle juridiction est la plus appropriée pour connaître du litige. C'est dans l'affaire Gilbert que le juge américain a exposé la liste des dits facteurs d'intérêts privés et publics (1). À titre d' exemples, les facteurs d'intérêts privés comportent : (i) la relative facilité d'accès aux sources de preuve ; (ii) l'existence d'une procédure permettant la comparution forcée des témoins désireux de témoigner et le coût d'une telle procédure ; (iii) la possibilité de se rendre sur le lieu de l'accident, si cela est nécessaire pour les besoins de la cause ; (iv) les aspects pratiques pouvant rendre l'instruction de l'affaire facile, rapide et peu coûteuse.
Les facteurs d'intérêts publics comprennent quant à eux : (i) les difficultés administratives liées à l'engorgement du tribunal ; (ii) l'intérêt local à voir des litiges nationaux réglés sur place ; (iii) l'intérêt à voir le procès se tenir devant un tribunal qui connaît suffisamment bien le droit applicable.
Le juge américain peut ainsi (après avoir estimé que la balance des intérêts publics et privés « suggère qu'un procès devant le for choisi serait inutilement lourd pour le défendeur ou le tribunal) considérer que les conditions d'un rejet sur le fondement de la théorie du forum non conveniens sont remplies.
Ce type de décision de rejet pour cause de forum non conveniens s'inscrit dans la droite ligne d'une jurisprudence américaine constante qui ordonne fréquemment ce type de dessaisissement, tout particulièrement en matière d'accidents d'avion survenus en dehors des États-Unis, dès lors que l'ensemble des défendeurs potentiels ne peuvent être mis en cause aux États-Unis.
Si certains auteurs de tradition civiliste reprochent à la théorie du forum non conveniens d'offrir une trop grande souplesse voire d'être une trop grande source d'incertitude pour le justiciable, cette théorie a néanmoins pour mérite de constituer une arme efficace contre le demandeur qui tenterait de profiter de la diversité des règles de compétence étatique pour porter son action devant la juridiction la plus favorable à ses intérêts.
À cette fin, la théorie du forum non conveniens peut constituer une nouvelle arme dans la lutte judiciaire contre un demandeur qui engagerait une action dans un État Y plutôt que dans un État X uniquement pour des raisons financières. Une telle théorie permet ainsi de donner à chaque fois compétence au tribunal avec lequel le litige présente davantage de liens qui sera mieux à même de juger l'affaire. Dans le cas précis du COSTA CONCORDIA, l'analogie avec les accidents d'avion est tout à fait pertinente et c'est dans ce contexte que le juge de l'Etat de Floride a eu à plusieurs reprise l'occasion d'appliquer cette doctrine.

 

Costa Croisieres LOGOAinsi, dans l'affaire opposant Mme Denise ABEID-SABA à Carnival (comme dans toutes celles évoquées ci-dessus), le tribunal a du scrupuleusement appliquer les critères de la Cour Suprème avant de rendre ses décisions.
Sur le premier critère de l'existence d'un for alternatif, les parties se sont bien entendu opposées sur la pertinence du forum italien. Du côté des plaignants, l'argument mis en avant était qu'une procédure devant les juridictions italiennes prendrait probablement une quinzaine d'années, et que chaque plaignant devrait prendre un conseil, ce qui aurait pour conséquence une multiplication des coûts pour chaque plaignant. Sur ces points, le Tribunal a considéré qu'il existait bien un forum alternatif en Italie, les défendeurs s'engageant notamment sur l'acceptation de la notification des actes et des assignations devant les juridictions italiennes, l'accès aux témoins, documents en leur possession, etc...et considérant que la notion de durée ne disqualifiait pas le forum italien, la jurisprudence indiquant que le forum alternatif se devait d'exister sans nécessairement devoir être parfait, les plaignants n'étant pas nécessairement en droit d'y retrouver les mêmes avantages que ceux qu'ils auraient eu devant le forum américain.
Sur la question de l'avocat que chaque plaignant devrait prendre, là aussi le Tribunal considère que l'absence de "class action" dans la procédure italienne ne disqualifie pas celle-ci. Sur ce premier critère, le Tribunal constate donc qu'il existe bien un forum alternatif pour juger des litiges opposant les plaignants à Carnival.
Sur la question des intérêts privés, le Tribunal se réfère à l'un de ses arrêts de principe (Cortez v Palace Resorts) et sur la charge de la preuve à apporter par les défendeurs et notamment celle de l'injustice qu'il y aurait à refuser à un citoyen l'accès à ce forum alternatif, et peu importe que ce citoyen soit lui-même américain. Pour le Tribunal, l'intérêt privé le plus important est l'accès aux preuves, mais aussi l'accès aux sources de preuves, les témoins, les lieux ou s'est produit le fait à l'origine du litige, et d'une manière générale tout les problèmes pratiques qui peuvent faciliter le déroulement du procès. Dans le cas du Costa Concordia et de ce procès précis, les plaignants recherchent la responsabilité de Carnival sur des fondements comme la "faute nautique", "faute lourde", "faute professionnelle", "produit défectueux", "défaut d'information intentionnel", "défaut d'information intentionnel des autorités", etc...(il y en a douze au total)
Costa-Concordia Dockwise-Vanguard Boskalis bPour le Tribunal, la majeure partie des preuves relatives à la résolution de ces plaintes est en Italie. Ainsi, sur la notion de produit défectueux, le Tribunal relève que celà ressort d'une violation du Code Civil Italien et qu'en conséquence, les tribunaux italiens seront sans aucun doute mieux à même de répondre à cette plainte.
Sur les équipements de sécurité du navire, le Tribunal relève que le chantier ayant construit le navire se situe en Italie, et que le fait que l'architecte d'intérieur soit américain ne permet pas de "raccrocher" la procédure aux Etats-Unis. Il en est de même pour la plainte visant le capitaine, de nationalité italienne, les autorités en charge du sauvetage, elles-mêmes italiennes, etc, etc....
Au final, et sur la question des intérêts privés, le Tribunal considère que, même si de fortes présomptions existent en faveur d'une résolution de ce litige devant les cours américaines, les défendeurs ont présenté des preuves suffisantes de ce qu'un procès aux Etats-Unis serait une injustice manifeste, eu égard aux inconvénients, aux coûts, et aux difficultés d'accès et de présentation des preuves et que ces inconvénients sont de nature à favoriser le choix d'un forum alternatif.
Pour ce qui est de la question des intérêts publics, cette notion inclue, parmi d'autres, les difficultés administratives résultant par exemple de l'encombrement des juridictions, mais aussi, et de manière centrale, la question des intérêts de la juridiction américaine à connaître du dossier. Dans le dossier du Costa Concordia, les demandeurs indiquent que la manœuvre du capitaine consistant à "saluer" la côte et ayant conduit ce dernier à naviguer trop près des côtes de l'île de Giglio et à heurter un rocher, était connue et même encouragée par Carnival Corporation et Costa Cruise Lines, sociétés américaines.
Pour le Tribunal, les demandeurs font référence à des actes et/ou des fautes commises par des non-résidents à l'Etat de Floride et à des preuves qui sont toutes en Italie. Le Tribunal en conclue donc qui que l'Etat de Floride n'a pas un intérêt fort à juger ce dossier et que les considérations liées à l'intérêt public désignent les juridictions italiennes comme étant les mieux à même d'être saisies de ce dossier.
COSTA CONCORDIA Grounding 13012012 (57)Le quatrième facteur dont le Tribunal a à connaître est celui de la possibilité pour les plaignants de recommencer une procédure dans l'Etat pressenti, sans que celà ne constitue un fardeau excessif ou soit de nature à les dissuader de poursuivre. Sur ce dernier point, le Tribunal, notant que les défendeurs accepteraient les assignations devant les cours civiles italiennes, donneraient accès aux preuves et documents, feraient leurs des limitations comme si le procès avaient été intenté dès l'origine en Italie, et accepteraient les jugements des courts civiles italiennes, reconnaît dès lors que ce quatrième facteur est également rempli. Il cite à ce propos une décision rendue dans un litige intéressant le Costa Concordia (Giglio Sub).
Les quatre facteurs étant remplis, le Tribunal en conclue que les défendeurs sont en droit d'opposer la théorie du "forum non conveniens" aux plaignants, les invitant dès lors à mieux se pourvoir devant les juridictions italiennes.
Hormis le fait que toutes les décisions dont nous avons pu prendre connaissance ont fait l'objet d'un appel, on notera une voix légèrement discordante dans le dossier Geoffrey SCIMONE (12-26072 CA 02) puisque le Tribunal n'y a accueilli que partiellement la demande des défendeurs, considérant que les citoyens américains étaient en droit d'être jugées par les juridictions de Floride, ce que la décision refuse aux citoyens des autres pays, les renvoyant à me se pourvoir devant les juridictions italiennes.
Il convient enfin de noter que Carnival avait également tenté, mais sans succès, de faire en sorte que ce procès échappe aux juridictions de Floride en pointant du doigt le fait que le nombre de défendeurs aurait normalement du amener à ce que ce dossier soit instruit au titre des règles relatives aux "class actions" qui sont de la compétence des cours fédérales. Sur ce point, les tribunaux n'ont pas suivi Carnival et ont maintenu la compétence des cours locales.
L'histoire n'est pas encore complètement écrite dans ces procédures déclenchées aux Etats-Unis mais les décisions des juges de premier niveau semblent suffisamment bien construites pour justifier qu'elles soient maintenues en appel.
N'ayant aucun talent divinatoire, il va donc falloir s'armer de patience pour pouvoir confirmer que la quasi-totalité des procès relatifs au Costa Concordia se déroulera en Italie.

 

Nos sources pour cet article

 

(1) http://supreme.justia.com/cases/federal/us/330/501/case.html 

(2) Laurent MARTINET & Ozan AKYUREK, La Théorie du Forum non conveniens dans les pays de Common Law ; Les Petites Affiches, 18 septembre 2006, n°186, p.5. La majeure partie de notre propos sur cette théorie est extraite de cet article très bien écrit et très clair.

(3) American Maritime Cases

(4) Pacer

(5) Nous contacter pour les décisions non disponibles en ligne.

 

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