Lorsque l'on parle de faire évoluer la règlementation relative à l'emploi "dockers" ou du personnel portuaire, il est peu de dire que les gouvernements s'attaquant à ce sujet prennent le plus souvent des risques, et notamment celui de voir les ports « s’enflammer ».
Que ce soit la réforme de 2008 sur les ports maritimes ou plus encore celle de 1992 réformant profondément le système d'emploi du personnel docker, aucune ne s'est vraiment déroulée sans accrocs et certaines des conséquences des précédentes réformes ne sont d’ailleurs toujours pas complètement digérées par les communautés portuaires qui doivent les appliquer au jour le jour.
Il reste des « foyers » de tension, notamment entre ce qui relève (ou pas) de l’emploi dockers.
Alors, voir une nouvelle évolution de la règlementation arriver au Parlement, sans que cela ne suscite la moindre manifestation ou le moindre émoi de la communauté des dockers et du principal syndicat (CGT Ports & Docks et FNDP) est surprenant, pour ne pas dire plus.
Il faut dire que le texte a été préparé très en amont (....) depuis plusieurs mois et qu’un rapport écrit sous la plume de Martine Bonny, bien connue du monde portuaire, gardé totalement confidentiel jusqu’à la proposition de loi (sic), avait largement préparé le terrain de ce qui ressemble, de manière plus ou moins affirmée, à renforcer encore le monopole de la main d’oeuvre dockers dans les ports français.
Pourquoi une telle évolution législative, 23 ans après la difficile et pénible réforme de la manutention dont les effets se font encore sentir et 7 ans après celle des port qui a vu la main d’oeuvre portuaire réunie sous une seule et même bannière, celle des manutentionnaires, et une seule et unique convention collective.
Les documents préparatoires de la Loi, et notamment le rapport de Madame Bonny retracent et expliquent l’historique de cette nouvelle « poussée législative ».
L’origine du conflit était une interprétation littérale et combinée de plusieurs articles du Code des Transports (ex Code des Ports Maritimes) amenant à la conclusion que la priorité d'embauche des dockers ne valait que dans les ports ou il y avait encore la présence de dockers intermittents, ce qui revenait, de facto, à écarter la priorité d'embauche dans la quasi-totalité des ports français, cette catégorie de main d’œuvre dockers ayant quasiment disparu avec la mise en œuvre de la réforme de 1992.
Cela revenait, pour la FNDP, à enfreindre la règle qui semble immuable de la priorité d'embauche des ouvriers dockers prévue par l'article R 511-2 du Code des Ports Maritimes (devenu l’article R 5343-2 du Code des Transports).
La Région Languedoc Roussillon, autorité concédante au sens du Code des Transports sur le Port de Sète a relayé la question du maintien de ce monopole dans l'hypothèse ou, sur le port considéré, il n'existe plus de dockers intermittents.
Compte tenu du caractère « sensible » de la question, cette interprétation « à la lettre » des textes a imposé au Gouvernement de trouver (très vite) une solution.
Missionnée en janvier 2014 pour trouver une réponse au problème rencontré à Port la Nouvelle, Madame Martine Bonny (inspectrice générale de l’administration du développement durable) a remis son rapport en décembre 2014 à Monsieur le Secrétaire d'État chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche Alain Vidalies en juin 2014 (rapport, on le répète, resté près d'un an totalement confidentiel et totalement introuvable sur Internet….marquant par là la sensibilité du sujet).
Le texte de loi présenté à l’Assemblée Nationale en mai 2015 s’inspire très largement des conclusions de ce rapport et vient donc corriger les possibles effets "négatifs" d'une telle lecture littérale de la Loi en supprimant toute corrélation entre le régime de priorité d'embauche des dockers et la présence de dockers intermittents sur une place portuaire.
Ces corrections sont considérées par le rapporteur du texte à l'Assemblée Nationale comme des aménagements techniques aux dispositions actuellement en vigueur.
Il n’y a effectivement rien à redire sur cette partie du texte puisque, objectivement, tel n’était pas du tout l’esprit des Lois de 1992 et 2008.
Ceci étant dit, le Projet de Loi en profite également pour « adapter la définition du champ d'activité réservé aux dockers aux évolutions du secteur portuaire », notamment suite à la réforme de 2008 qui a rendu encore plus floue la notion de « poste public » avec le basculement des outillages et des grutiers des ports au sein des entreprises de manutention.
Il propose ainsi une nouvelle rédaction de l'article L 5343-7 du Code des Transports qui renvoie à un Décret en Conseil d'Etat et qui définira "les travaux de chargement et de déchargement des navires et bateaux dans les ports maritimes qui seront prioritairement effectués par des ouvriers dockers".
Si le texte de loi n'appelle pas de remarques particulières, le futur Décret, dont certaines des dispositions sont contenues dans le rapport de Madame Bonny, aura toute son importance car c'est bien dans la partie réglementaire que se situent les exceptions au recours à la Main d'Oeuvre Docker et notamment la possibilité de ne pas recourir aux dockers notamment en cas « de travaux de manutentions liées à un chantier de travaux publics sur le port considéré ».
Ce Décret sera important car les « dockers » et leur syndicat n'ont semble t’il jamais réellement accepté l’exception apportée par ce Décret lors de sa parution en 1992.
Il suffit, pour s’en persuader, de constater les « micro-conflits » locaux qui surgissent à chaque déchargement / chargement de navire par un opérateur opérant pour le port concerné dans le cadre de travaux « pour propre compte ».
Néanmoins, le projet de réécriture de cet article (ancien R 211-2 du Code des Ports devenu le R 5343-2 du Code des Transports) joint au rapport de Madame Bonny semble ne pas vouloir remettre en cause cette exception.
Le diable se nichant cependant dans les détails, le projet de texte de Loi va semble t’il encore plus loin car, s'il prend en compte les autorisations domaniales avec bord à quai et semble bien acter que l'on se situe dans un cadre « privé » faisant ainsi échapper les manutentions réalisées dans ces emprises à la main d'œuvre dockers, le projet de texte de Loi précise que dans de tels cas, « les conditions dans lesquelles sont effectués les travaux de chargement et de déchargement des navires et des bateaux pour le compte propre d’un titulaire d’un titre d’occupation domaniale comportant le bord à quai sont fixées conformément à une charte nationale signée entre les organisations d’employeurs et de salariés représentatives du secteur de la manutention portuaire, les organisations représentatives des autorités portuaires et les organisations représentatives des utilisateurs de service de transport maritime ou fluvial ».
Sans y voir malice, on peut raisonnablement penser que cette charte va permettre localement, de « faire entrer » à nouveau les entreprises de manutention utilisant de la main d’œuvre docker dans des installations ou la Loi, les usages, et la Jurisprudence ne leur permet plus, à priori, d'y exercer leur activité. Ainsi la Charte indique qu'avant toute nouvelle implantation industrielle sur une place, « les industriels concernés, les représentants locaux des signataires de la charte pour le secteur manutention, devront "réfléchir" afin de chercher des solutions à des thèmes pré-indiqués ».
On peut y lire à peu près tout et n’importe quoi dans une telle formulation qui génèrera très probablement de nouveaux conflits sur les ports et installations concernées.