Un porte conteneurs MSC en feu après une explosion à bord, abandonné par son équipage en plein Atlantique, nous avions là les ingrédients pour une nouvelle histoire à raconter sur notre site. Même si il n'avait rien d'exceptionnel, ce nouveau sinistre illustrait à nouveau que le transport de marchandises par mer peut encore s'avérer dangereux. L'incendie qui a éclaté à bord le 14 juillet dernier dans la cale nº 4 du navre , et a causé la mort de deux marins, et blessé trois autres, a été suivi de deux explosions les jours suivants dans les cales 5 et 6. Après quelques heures de flottement (normal en de pareils circonstances, et surtout lorsque l'équipage a abandonné le navire), la situation a été reprise en main par l'armateur (NSD REDEREI) et plusieurs remorqueurs de haute mer ont pu se porter au secours du navire et engager la lutte contre l'incendie qui continuait de dévorer le navire.
Passé quelques jours, le feu était circonscrit et maîtrisé (pas éteint) et des membre de l'équipe de sauvetage ont pu se rendre à bord, notamment pour remettre en fonctionnement les équipements anti-incendie.
Notre première réflexion était alors de dire que ce dossier était terminé avant même d'avoir vraiment commencé que nous n'aurions alors plus rien à nous mettre sous la dent.
Pourtant, très rapidement, quelque chose est apparu comme ne tournant finalement pas très rond. Comme souvent, le lièvre fut assez rapidement soulevé par Mikhail Voytenko, du site odin.tc. Suivant la trajectoire du navire lorsque la position du navire était disponible, scrutant (comme nous), les communiqués de presse de NSB REDEREI (aux contenux assez peu explicitex sur le devenir du navire), il est devenu rapidement évident qu'un problème important empêchait le navire de poursuivre sa route et de rejoindre un port.
Ce qu'évitait de dire NSB REDEREI jusqu'à ce jour, c'est que les autorités potentiellement concernées par l'accueil du navire ne montraient qu'un empressement très mesuré pour accueillir le navire en détresse. Trouver un port refuge est ainsi devenu le principal problème du MSC FLAMINIA. Depuis plusieurs jours (semaines), le navire erre et fait des ronds dans l'eau, accompagné par ses trois remorqueurs de haute mer alors que rejoindre un port n'aurait du lui prendre que quelques heures. Rompant avec le silence de mise depuis plusieurs jours, et par un communiqué dont s'est fait l'écho OUEST FRANCE dans son édition du 9 août 2012, l'armateur du MSC FLAMINIA met les pieds dans le plat. Alors que le porte-conteneurs MSC Flaminia agonise depuis près d'un mois, au large des côtes françaises, Helmut Ponath, le directeur général de Reederei NSB, l'armateur allemand du navire, réagit : « Je trouve choquant que, dans une telle situation, un bateau battant pavillon allemand ne reçoive, de la part d'aucun pays européen, l'autorisation de rallier un port. »
Il semble, pourtant, que d'intenses négociations soient toujours en cours entre les pays susceptibles de proposer un port-refuge au porte-conteneurs en détresse. Les spéculations vont bon train. Le port de Brest a été évoqué, puis la baie de Douarnenez, et enfin Rotterdam. Seule certitude: le port de Brest, pas assez profond, n'est pas en mesure d'accueillir le navire. Actuellement dans les eaux internationales, le MSC Flaminia échappe ainsi au contrôle des autorités anglaises et françaises et surtout permet à ces mêmes autorités de ne pas avoir à intervenir directement. Seul l'État du pavillon (l'Allemagne) est actuellement compétent pour intervenir mais les autorités allemandes sont muettes depuis le début de cette affaire, l'armateur et l'affréteur semblant les seuls à «maîtriser» les informations sur le navire et sa situation réelle.
Cependant, ainsi que l'a précisé, mercredi dernier la préfecture maritime, « l'État Français n'est pas opposé à un accueil du porte-conteneurs. "Il est toutefois demandé au Flaminia de rester en dehors des eaux internationales tant que le bilan complet de sa cargaison ne sera pas effectué". Cette Précision de la Préfecture Maritime est dans la droite ligne de celle du gouvernement français. Le ministère de l'Écologie a lui-même, dans un communiqué commun avec le Ministre des Transports, précisé "qu'il n'est pas question "pour l'instant" de l'accueillir dans les eaux territoriales françaises, la priorité étant "d'assurer la sécurité maritime dans des espaces très fréquentés et d'éviter tout risque d'atteinte à l'environnement marin et aux littoraux". "
Selon les estimations disponibles, 37 conteneurs, situés dans la zone impactée par l'explosion, pourraient représenter un risque de pollution, en raison des produits chimiques qu'ils contiennent", indique le ministère. Le gouvernement se dit "dans l'attente de documents techniques de la part de l'armateur, sur la flottabilité du navire, la maîtrise de l'incendie et l'état de la cargaison notamment", et travaille à obtenir toute information technique, "en lien permanent avec leurs homologues européens concernés". Le convoi de remorquage est donc en attente d'une éventuelle destination finale autre que les abysses de l'Atlantique.
Le dernier communiqué de NSB REDEREI du 13 août 2012 ne dit pas autre chose "As weather conditions remained stable, firefighting experts onboard of MSC FLAMINIA continued to extinguish individual containers until yesterday evening. Currently, weather conditions worsened, forcing the suspension of the operations until the weather improves again.
During the past days the salvage team was able to stabilize the vessel by pumping water from the cargo holds into the ballast water tanks. By now, MSC FLAMINIA is listing by just 2.5 degrees. With this list, the vessel is stabilized to the extent that the entry into an emergency port is possible.
MSC FLAMINIA and its accompanying group of tugs are currently holding a waiting position approximately 240 nautical miles off the coast of the UK.
Alors oui, effectivement, la situation est sérieuse mais pas encore catastrophique. L'affréteur est le nº2 mondial, le navire est assez jeune (onze ans), son pavillon n'est pas de complaisance. La société de sauvetage et de remorquage (Smit) est la plus sérieuse et l'une des plus compétentes au monde, et le porte-conteneurs, qui est à près de 400 km de nos côtes, a résisté à trois semaines de houle... ; La situation semble désormais stabilisée et il ne semble plus y avoir de péril immédiat.
Et quand bien même il y aurait péril, plusieurs, plusieurs voix commencent à s'élever et à s'agacer de la situation d'attentisme des gouvernements britanniques, allemand, et français. Ainsi, Robin des Bois, l'association de protection de l'homme et de l'environnement, a fait entendre sa voix: « Les Etats-Membres de l'Union Européenne, malgré les dispositions en vigueur sur les « abris refuge », sont incapables de proposer à l'armateur du MSC Flaminia des solutions pour mettre en sécurité le navire, pour faciliter l'expertise post-accidentelle, transvaser le fioul de propulsion, décharger les conteneurs, pomper et traiter les eaux extinction en fond de cales. C'est profondément navrant. » L'association se demande si les records d'errance en haute mer du Kharg V et du Castor seront bientôt battus (Le Kharg V, pétrolier iranien en difficulté le 19 décembre 1989 avait été refusé dans les eaux territoriales du Maroc, du Portugal, de l'Espagne, du Sénégal et du Cap Vert. Ce n'est que le 6 février 1990 que la cargaison du Kharg V avait fini d'être transbordée en haute mer au large de la Sierra Leone sur un autre pétrolier iranien. Quant au pétrolier Castor battant pavillon chypriote, il a été victime en Méditerranée d'une fissure sur le pont le 31 décembre 2000. A la recherche d'un refuge qui lui a été successivement refusé par le Maroc, l'Espagne, l'Algérie, Gibraltar, la Tunisie et Malte il a finalement été accueilli le 14 février 2001 au port du Pirée, en Grèce. A l'issue de cette longue séquence de non assistance à navire en difficulté, le Secrétaire Général de l'Organisation Maritime Internationale avait déploré l'absence de coopération internationale, de protocole de gestion et de structure d'accueil pour les navires en difficulté).
«Le MSC Flaminia bat pavillon allemand. L'indifférence qui l'entoure depuis presque un mois est un encouragement pour tous les armateurs européens à immatriculer leurs navires au Vanuatu ou en Mongolie, constate Robin des Bois. Quand il s'agit d'accueillir des porte-conteneurs de plus en plus grands emportant 18.000 boîtes, les ports européens se livrent à une concurrence impitoyable. Quand il s'agit de recueillir un porte-conteneurs en difficulté, ils sont tous unis pour le rejeter.
Pour Mor Glaz, le communiqué commun de Madame Delphine BATHO et Monsieur Fréderic CUVILLIER sur le MSC FLAMINIA est un "raté ministériel".
Loin de toujours partager les positions de Robin des Bois (voir nos articles sur le TK BREMEN), nous ne pouvons ici que partager leur avis et leur agacement face à ce qu'il convient d'appeler un "coupable attentisme", dicté soit par une méconnaissance du monde maritime, soit par des arrières pensées politiques, ce qui serait encore pire. Ne rien faire qui puisse être reproché par la suite, ne pas prêter le flanc à la critique ; Bref, l'inaction plutôt que la décision. Et puis, si le navire coule, ce sera la faute de l'armateur ou de l'affréteur, du remorqueur, de l'équipage, des assureurs, du mauvais temps, etc...mais pas celle des gouvernements...Et puis, à 3000 mètres de profondeur, loin des yeux et des caméras des journalistes et des citoyens, le MSC FLAMINIA sera vite oublié, bien plus que s'il finit sa route dans une baie ou dans un port.
Les Etats, et notamment l'Etat Français semblent tétanisés à l'idée d'accueillir ce navire et souhaitent que sa situation soit stabilisée, l'incendie éteint, la gite retrouvée, etc...Autrement dit, il faut que le navire ne soit plus en détresse mais en simple avarie pour espérer pouvoir être accueilli dans un port. Le communiqué du ministère est consternant sur un autre point quand il évoque que la priorité est (....) d'éviter tout risque d'atteinte à l'environnement marin et aux littoraux". Or, c'est bien en laissant le navire loin des côtes que le risque est important. Il n'y a qu'à se rappeler le Prestige qui, plutôt que de rentrer dans un baie abritée ou il aurait effectivement pu polluer quelques kilomètres de côtes, a fini par se casser en deux au large et a pollué plusieurs centaines de kilomètres de littoral et a fini au fond de l'Atlantique avec une partie de sa cargaison, de ses soutes, huiles, produits dangereux, etc....
Pourtant, les outils juridiques existent désormais pour l'accueil des navires en difficultés. De tels outils avaient été exigés de ces mêmes gouvernements après les naufrages de l'Erika et du Prestige ; Et ils avaient été obtenus avec l'adoption, le 23 avril 2009, de six directives et de deux règlements, qui constituent le troisième paquet dit « Erika III ». L'une de ces directives (directive n° 2009/17/CE) fait obligation aux Etats membres de désigner des autorités habilitées à décider des conditions d'accueil des navires ayant besoin d'assistance. Ces outils ont été précisément mis en place pour ce type de situation. L'attentisme vis à vis du sort du MSC FLAMINIA est donc d'autant plus compréhensible et critiquable.
Car il faut également souligner que la France n'a pas traîné pour transposer cette directive dans notre corpus législatif. Ainsi, l'article L. 5331-3 du code des transports donne désormais à l'autorité administrative le pouvoir d'enjoindre s'il y a lieu à l'autorité portuaire d'accueillir un navire ayant besoin d'assistance. Le décret d'application du 2 février 2012 charge le préfet maritime ou, outre-mer, le délégué du Gouvernement pour l'action de l'Etat en mer d'assurer ce rôle et lui confie le soin de décider de l'accueil d'un navire dans un port qu'il désigne. Il lui donne compétence pour enjoindre à l'autorité portuaire d'accueillir ce navire. Il appartient au préfet de département de veiller à la bonne exécution de cette injonction et, si nécessaire, d'autoriser ou d'ordonner le mouvement du navire dans le port.
L'enjeu de ces textes, c'est d'éviter que des navires ne coulent en pleine mer, parce qu'ils se sont vu refuser l'accès à un port et d'éviter ce qui peut encore se passer avec le MSC FLAMINIA, à savoir que tout le monde dit qu'il faut des ports refuge mais personne n'en veut chez soi. En confiant la désignation du port refuge à une autorité régalienne (jusqu'à présent un port pouvait refuser), le but est d'éviter ce type de discussions ou d'atermoiements.
S'il y a un risque de pollution, il vaut mieux effectivement confiner le bateau dans une baie ou un port refuge car en pleine mer, la nappe risque de s'étendre sur des milliers de km². Le mal est moindre si 5km de côtes, au lieu de 300, sont pollués. Ce sujet demeure très sensible car la liste des ports refuges a bien été établie par l'administration mais pas publiée, ce qui constitue déjà en soi un aveu de faiblesse de l'Etat face aux élus locaux et aux populations littorales.
Dans un article du Télégramme de Brest paru le lendemain de la publication du Décret, les commentaires étaient pourtant plein d'optimisme. Ainsi, pour le capitaine de frégate Marc Gander, chargé de communication à la préfecture maritime de l'Atlantique, «le bien commun l'emporte sur le bien individuel», notamment portuaire. Jusqu'à présent, «on pouvait être dans un système où le commandant du port et les autorités qui le gèrent, notamment régionales, pouvaient dire non» à l'entrée d'un navire en détresse, a-t-il expliqué. La question des lieux de refuge se posait, notamment «depuis l'errance du pétrolier Prestige (naufragé le 13 novembre 2002), que les Espagnols ont essayé de repousser vers la France, puis vers le Portugal, puis vers le large, souillant ainsi 400km de rivages», quand il «aurait pu être accueilli dans un port ou une ria galicienne», a, pour sa part, rappelé Patrick Chaumette, directeur du centre de droit maritime et océanique à Nantes. «La France a décidé de déterminer des procédures et non des lieux, de ne pas publier de cartes, même s'il est connu qu'il n'existe pas de tels lieux entre Brest et Cherbourg, qu'en Atlantique, l'abri de Groix ou de Belle-Ile est fort utile mais limité», a-t-il ajouté. Ce décret achevait donc la mise en place d'un arsenal législatif imposant au secteur maritime des obligations inédites pour éviter les conséquences écologiques et humaines de naufrages comme ceux du pétrolier Erika (en 1999) et du Prestige.
L'incendie du MSC FLAMINIA devait donc être une première pour l'application de la législation sur les ports refuges et sur la (re)prise en main de ce type de décisions par l'Etat, de manière totalement régalienne. C'est donc raté, et de belle manière. Que se passera t'il quand il s'agira d'un pétrolier ou d'un chimiquier armé sous pavillon de complaisance, avec un obscur armateur domicilié dans un pays fiscalement accueillant.... ? Dans le cas présent, tout était réuni pour une mise en œuvre dans de bonnes conditions, avec un armateur solide (MSC et NSB REDEREI), des assureurs ayant pignon sur rue (Swedish Club), une compagnie de sauvetage renommée internationalement (Smit), etc...
Il faut malheureusement constater que toute législation, aussi bonne soit-elle, impose un courage politique pour sa mise en œuvre. On l'avait sans doute oublié, mais c'est un préalable quand il faut prendre des décisions difficiles.
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