Sans réelle surprise, le rapport de la Cour des Compte sur la sécurité des navires et de leurs équipage est passé quasiment inaperçu, hormis quelques articles dans la presse spécialisée. Pourtant, à l'heure du procès "Prestige," quelques mois après l'arrêt de la Cour de Cassation dans le cas Erika, et un an après l'échouement du TK BREMEN, ce rapport aurait mérité une exposition médiatique plus importante. Malheureusement publié au moment des fêtes de fins d'année, sur un sujet finalement assez austère et peu médiatique, sauf en cas de crise type Erika ou TK Bremen, il n'avait finalement que peu de chances de faire la une des grands médias.
Dommage car il faut pourtant s'y attarder ; Ce rapport met finalement noir sur blanc les difficultés dans lesquelles se trouve actuellement l'administration en charge de la sécurité maritime, pointant un dispositif national inadapté, tant pour la surveillance des navires que celle des équipages. Voila qui est dit et écrit.
Et la Cour des Comptes d'aller finalement droit au but en épinglant l'organisation française. À la différence d'autres pays, qui ont confié ces missions à des sociétés privées, la France a conservé une organisation très administrative. Cinq sociétés de classifications (privées) ont bien été agréées, mais le véritable patron, c'est la Direction des Affaires maritimes (Dam).
Une « Dam » quelque peu empêtrée dans son organisation, estime la Cour des comptes. « Ce dispositif s'est développé depuis dix ans à la suite du sinistre du pétrolier Erika, sans anticipation et stratégie clairement affichée et sans réel pilotage du réseau de centres de sécurité des navires par les pouvoirs publics », souligne le rapport.
Les promesses, faites en 2000, de doubler les effectifs des inspecteurs ont été tenues, mais « au prix d'une gestion tâtonnante et incertaine des effectifs conduite sans anticipation ». Conséquence directe : « Le réseau des centres de sécurité a peu évolué et s'est même figé, faute de pilotage de l'administration centrale des Affaires maritimes. »
"Les résultats obtenus par le système national de contrôle de la sécurité des navires, dont le pilotage opérationnel a trop longtemps été négligé par l'administration des Affaires maritimes, ne sont pas à la hauteur des enjeux actuels", déplore la Cour.
Les sages de la rue Cambon dénoncent particulièrement la gestion des 16 "Centres de sécurité des navires" installés le long du littoral et dont les moyens sont mal répartis, en dépit du doublement de leurs effectifs sur dix ans. "Certains centres, tels ceux de Saint-Nazaire, Caen, Saint-Malo et Brest, sont particulièrement touchés par la baisse du nombre des navires éligibles aux contrôles. D'autres, comme à Marseille, Le Havre, Dunkerque, Rouen et La Rochelle, voient, en revanche, leur activité croître ou se maintenir". La Cour constate également une absence de vision stratégique concernant le plan d'armement des centres de sécurité des navires depuis dix ans et qui se découvre dans l'hétérogénéité du dispositif actuel qui fonctionne dans un climat d'interrogations et parfois de frustrations, peu favorable à une évolution sereine, dynamique, et efficace du réseau.....".
La récente réorganisation territoriale de l'État et de ses services déconcentrés n'a pas amélioré le système. En séparant le contrôle de la sécurité du navire des vérifications de l'aptitude des équipages, la Cour des comptes estime que « le risque est grand que la dimension humaine de la sécurité, pourtant fondamentale, soit peu à peu délaissée ». Les magistrats insistent sur les méfaits de cette organisation complexe sur le monde la pêche. « La flotte est mal suivie et insuffisamment connue de l'administration centrale. »
La pêcherie française souffre de plusieurs handicaps. « Elle apparaît d'abord comme une flotte vieillissante et de plus en plus inadaptée. Les navires sont moins sûrs et les conditions de travail dégradées. »
Ce n'est donc pas un hasard si « la pêche maritime est marquée par un nombre élevé de décès et d'accidents du travail. »
Avec 191 décès entre 1999 et 2010, l'institution relève que la pêche "est le secteur d'activité le plus accidentogène en France" (taux d'accidentologie supérieur à celui du bâtiment). La flotte de pêche est "insuffisamment connue de l'administration centrale", observe la Cour. "Elle apparaît comme une flotte vieillissante (âge moyen de 25 ans) et de plus en plus inadaptée. Les navires sont moins sûrs et les conditions de travail dégradées". Le . Pourtant, l'obligation de visite médicale annuelle des officiers et marins « ne peut plus être pleinement respectée, faute de moyens suffisants du service de santé des gens de mer. »
La Cour invite donc « à une profonde réforme » et à une « réorganisation du système, à moyens constants ». Elle suggère aussi de s'inspirer de pays voisins, peut-être plus pragmatiques.
Paradoxalement, alors que la France a été à l'initiative du renforcement des contrôles au niveau européen après le naufrage de l'Erika en 1999, elle "court désormais le risque de sanctions financières plus fortes en cas de non-réalisation des nouveaux objectifs" de Bruxelles en termes de surveillance des navires étrangers, avertit la Cour (amende minimum de 10 millions d'euros).
Ce rapport est aussi une mise en lumière de la situation dans laquelle se trouvent actuellement les Affaires Maritimes. Issue de l'inscription Maritime de Colbert, les "AffMar" ne sont aujourd'hui "plus qu'une des trois directions de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer(DGITM) dépendant du ministère français de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement.
Corps Militaires (la formation des futurs administrateurs se fait pour partie avec la Marine Nationale), mais exerçant la majeure partie de leurs prérogatives et missions en civil, les AffMar ont visiblement du mal à trouver leur place dans cette nouvelle organisation. La Révision générale des politiques publiques lancée par le gouvernement en 2009 a entraîné la disparition des directions régionales et départementales des affaires maritimes sous leur ancienne forme. À compter de 2010, elles ont été intégrées dans les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) pour la partie départementale et dans des directions interrégionales de la Mer (DIRM) à l'échelle de chaque façade maritime (Manche est/Mer du Nord, Atlantique Nord, Atlantique sud, Méditerranée). La lisibilité de leurs missions (hormis le contrôle des pêches et des embarcations de plaisance mais qui se fait parfois par la Gendarmerie ou la Marine...) devient difficile pour le grand public avec le sentiment parfois diffus que les AffMar ont complètement disparu, noyées et/ou fondues dans les autres ministères, y compris celui de la défense pour l'action de l'Etat en Mer. Essayez par exemple de trouver un logo des Affaires Maritimes sur Internet : Ne cherchez pas, il n'y en pas (plus).....