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COSTA CONCORDIA : Parlons chiffres, Assurances, et Responsabilité


COSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (5)Le naufrage du navire "Costa Concordia", dont les circonstances relèvent d'un film hollywoodien (qui doit déjà être en préparation....), est l'occasion d'appliquer l'ensemble de l'arsenal juridique mis en œuvre pour l'indemnisation des passagers lorsqu'un évènement majeur survient. Les premiers éléments glanés sur Internet montrent que ce dossier occupera pendant plusieurs années quelques dizaines d'avocats de part le monde. Il est aussi l'occasion d'éclairer le grand public sur les enjeux financiers d'un tel désastre.

 

Tout d'abord quelques mots sur le navire en lui-même. Lancé le 2 septembre 2005 et mis en service le 7 juillet 2006 (livré le 1er juin 2006), le Costa Concordia a été construit par les chantiers Fincantieri de Sestri Ponente, à Gênes (Italie). Il est, à l'époque, le plus gros navire italien jamais construit. Il est le premier d'une série de cinq navires similaires construits par Fincantieri : Costa Serena (2007), Costa Pacifica (2009), Costa Favolosa (2010) et Costa Fascinosa (2012). Son prix "public" à la construction est d'EUR 450 000 000.

 

COSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (3)Son naufrage le 13 janvier 2012 (7) s'annonce comme la catastrophe maritime la plus coûteuse pour les assureurs maritimes, le Titanic faisant office de "petit sinistre" au regard de ce que devrait couter celui du "Costa Concordia". En effet, bien qu'étant historiquement l'événement le plus connu, le naufrage du paquebot britannique Titanic (environ 1 500 morts) n'a pas été le plus coûteux pour les assureurs. Le navire, qui coula en avril 1912 après avoir heurté un iceberg, n'était assuré qu'à hauteur d'un million de livres de l'époque. Ajusté de l'inflation, cela représente une petite centaine de millions de livres actuelles (soit environ 120 millions d'euros) (1)

 

Pour le Costa Concordia, certaines estimations font état d'un sinistre proche du milliard de dollars (assurance dommage et responsabilité) et même si il est sans rapport avec le drame du Titanic, le bilan humain de la catastrophe du Concordia reste quand même lourd avec 32 morts ou disparus. 17 corps ont été repêchés mais 15 personnes demeurent portées disparues. Les 17 personnes décédées dont les corps ont été identifiés sont six Allemands, quatre Français, trois Italiens, un Hongrois, un Espagnol et deux Péruviens.

 

Au total, 15 personnes manquent donc encore à l'appel: il s'agit de six passagers allemands, quatre Italiens, dont une fillette de 5 ans et un membre d'équipage, un jeune couple de Français, deux Américains, et un autre membre d'équipage indien. On dénombre également 64 blessés.

 

COSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (7)Au regard du nombre de personnes présentes à bord au moment du naufrage (4252 personnes dont 3206 passagers et 1023 membres d'équipages), de la difficulté avérée à évacuer un tel navire (plus de 5 heures 30) (2), dont la gîte s'accentue de minute en minute rendant toute une partie des moyens de sauvetage inopérants, ce chiffre est quasi miraculeux.

 

Si le navire n'avait pas fini sur les rochers, au terme d'une ultime manœuvre, mais plus au large ou il aurait sombré "corps et biens", il aurait sans doute entraîné au fond de la Méditerranée plusieurs centaines de passagers.

 

Le bilan peut ainsi paraître lourd mais la simple vue du CONCORDIA renversé sur le côté suffit à conforter l'idée que ce naufrage aurait pu avoir des conséquences bien plus désastreuses.

 

Voilà pour les faits rappelés brièvement pour en venir maintenant à l'objet de notre article : Les chiffres, les assurances, et les responsabilités.

 

Abordons tout d'abord le volet de l'assurance "corps et machines" du navire. Notons tout d'abord qu'à la date de cet article, la perte totale du navire n'est pas encore déclarée.

 

Diamond Princess_Fire_October_2002Cependant, au vu des dégâts et du temps passé dans l'eau de mer, il semble cependant difficile de croire que le navire puisse être réparé et ce même si Carnival, la maison mère de COSTA, n'exclue pas dans son rapport annuel que le navire puisse encore un jour à nouveau naviguer. Il est vrai que des navires de croisière ayant brûlé quasi intégralement ont pu être réparés (3). Il faudra donc attendre le résultat de l'appel d'offre lancé par Costa Crociere auprès de 10 sociétés internationales pour l'élaboration d'un programme visant au retrait intégral de la coque du Costa Concordia.

 

En fonction des options qui seront proposées, il sera aisé de savoir si l'option de la réparation est toujours envisagée. Il faut dire que cela n'est pas sans influence sur la répartition des coûts entre assureurs "corps" et P&I. En effet, si le navire est réparable, il est probable que les assureurs corps soient redevable des dépenses de sauvetage et d'enlèvement du navire ; Par contre, si le navire est en perte totale (montant des réparations supérieur à la valeur assurée) (4), les dépenses d'enlèvement de l'épave (retirement) devraient être à la charge du P&I. On imagine assez facilement les enjeux de ce qui se décidera dans les prochaines semaines !

 

Pour en revenir à l'assurance "corps et machines", et une fois n'est pas coutume, les informations sont sorties très rapidement dans la presse et sur Internet (5), dans le Lloyd's List mais également dans le rapport annuel de Carnival (6), maison mère de COSTA. On y apprend ainsi que le navire était assuré pour 395 millions d'Euros ou USD 510 millions et que la franchise sur cette garantie était d'USD 30 millions de dollars (il s'agit en fait d'un aggregate annuel, la franchise étant réellement de USD 5 milllions par sinistre). Si le navire est declaré en perte totale, Elle ne devrait cependant pas trouver à s'appliquer, la franchise n'etant généralement pas appliquée dans un tel cas (Constructive Total Loss).

 

A Londres, des copies de la police "Corps & Machines" circulent "sur le marché" et permettent de se faire une idée de l'exposition des différents assureurs.

Le programme d'assurance était placé via le courtier Aon. L'assureur ayant la plus grande part est le Gard avec une part de 12, 14 % sur la police "Corps et Machine" et "Increase Value". Suit derrière RSA (anciennement Royal Sun Alliance) qui est l'apériteur et le claims leader avec plus de 11%.

 

Les groupes d'assurance du Lancashire et XL prennent des parts de 10% chacun, de sorte que les quatre premiers assureurs garantissent à eux seuls plus plus de 40% du risque total.

 

COSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (6)Les autres assureurs, par ordre décroissant d'exposition sont Ascot, Axa Corporate Solutions (qui couvre 6,13 % du risque, annonce faite lors d'une conférence de presse en marge des Rencontres annuelles de l'Association pour le management des risques de l'entreprise (Amrae) à Deauville du 8 au 10 février 2012), Allianz (5%), Arch, QBE / Colin O'Farrell, Generali (4%), Talbot, Navigators, Chaucer, Hiscox, Travellers, Chubb, Mitsui, Aspen, Catlin, American Hull Insurance Syndicate, National Union/Chartis, Starr, Antares, Marketform, Amlin, Korean Re, Ace et Atrium (ce dernier étant le moins exposé avec une perte potentielle de USD 1,4 million).

 

Le grand absent de cette répartition est le Norwegian Hull Club mais dont les équipes doivent aujourd'hui pousser un grand "ouf" de soulagement. La raison de cette absence est peut-être aussi à chercher du coté de RCCL et dont le "claims lead" est assuré par le Norwegian Hull Club mais peut-être aussi par un taux de prime jugé insuffisant au regard des risques encourus.

 

Par ailleurs, Carnival possède une "capitve", Trident Marine, mais dont le rôle n'est pas clairement défini.

 

En tout, ce sont 28 assureurs qui se partagent le risque et assez logiquement la quasi totalité des assureurs "corps" ayant de la capacité et une bonne note S&P (...), la valeur des navires et la somme des cumuls empêchant chacune de ces compagnies de prendre guère plus de 10 % sur la flotte, ce qui représente déjà un engagement de près de 50 à 60 millions de dollars.

 

L'assurance "corps et machines" de ce type de navires couvre habituellement jusqu'à 80% de la valeur du navire, les armateurs assurant les 20% restant via la police "increased value" (ou bonne arrivée en français) qui couvre ainsi le reste de la valeur du navire, le but étant d'optimiser le coût de la couverture, le taux de cotisation pour ces 20 % étant différent et inférieur à celui du taux de base.

 

Cette assurance "increase value" ou « bonne arrivée » est normalement réglé par les assureurs en cas de perte totale ou de délaissement du navire résultant d'un événement garanti au titre de la police Corps et moteurs. Ce capital complémentaire est destiné à indemniser l'armateur pour les pertes financières annexes résultant par exemple d'une perte de profit escompté, d'une plus value liée à la hausse du marché de l'occasion, ou encore du coût supplémentaire de remplacement par une unité comparable.

 

Dans notre cas, et au vu des valeurs considérables à assurer, le montage est un peu différent puisque, sur la valeur assurée totale qui est d'EUR 405 millions, seuls 271 sont assurés au titre de la police "Corps et Machines" et 134 le sont au titre de la "bonne arrivée. Le ratio est donc ici de 65/35.

 

COSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (2)Enfin, dernière information, le navire était assuré aux conditions anglaises (ITC 1983) ce qui signifie qu'il appartiendra à l 'assuré de prouver que le sinistre est couvert au titre de la police et rentre dans l'un des périls couverts. Là aussi, il semble qu'une bataille se prépare, le Lloyd's list ayant indiqué que la couverture d'assurance du navire pourrait être refusée pour "unseaworthiness" (l'apériteur ne devra pas trembler en signant le courrier d'envoi à Carnival...).

 

Si la garantie des assureurs est finalement acquise, les réassureurs devraient également être mis à contribution. Ainsi, le réassureur allemand Hannover Re a annoncé que le naufrage du Costa-Concordia va lui coûter au minimum 30 millions d'euros. "Il est difficile pour l'instant d'évaluer les réclamations", explique le troisième réassureur mondial dans un communiqué. Mais selon lui, une charge "à trois chiffres" en millions au total pourrait résulter de ce naufrage pour le secteur, ce qui en conséquence entraînerait une perte d'au moins 30 millions d'euros.

 

Quant à l'autre réassureur allemand, Munich Re, il a indiqué qu'il prévoyait une charge d'environ 50 millions d'euros liée au Costa Concordia. Même si le montant à indemniser au titre de la responsabilité civile est encore inconnu, il est d'ores et déjà possible de dire que c'est "le plus gros sinistre maritime jamais survenu, pour le transport de passagers ou le transport de marchandises", a estimé un assureur, sous le couvert de l'anonymat.

 

Voilà ce que l'on peut dire sur l'assurance "corps et machines".

 

S'agissant maintenant de la police responsabilité, elle est traditionnellement couverte par les P&I Club, les assureurs "corps & machines" n'ayant pas forcément vocation à couvrir les recours de tiers, et ne pouvant offrir les niveaux de garantie des P&I. . L'objet de ces polices est ainsi de garantir la responsabilité de l'armateur pour les dommages causés aux tiers, aux passagers, à l'équipage aux riverains (pollution), etc...

 

Ceux du Costa Concordia sont le The Steamship Mutual et le The Standard Club. Il est assez rare que deux P&I couvrent un même navire mais l'étendue des responsabilités justifie sans doute cette dualité. Quant à l'organisation en "pool" (souvent décriée par la Commission Européenne qui ne pourra cependant que se satisfaire que cet "arrangement" aboutisse à offrir des montants de garantie assez impressionnants), elle permet d'assurer des niveaux très élevés de garantie.

 

COSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (8)S'agissant de Costa, sa couverture responsabilité civile prévoit une franchise de 10 millions de dollars (dixit le croisiériste américain Carnival - maison-mère des Croisières Costa). Au-delà, The Steamship Mutual et The Standard Club prennent en charge 4 millions de dollars chacun. Si le montant à indemniser dépasse 18 millions, c'est un pool de 13 mutuelles qui couvre une tranche supplémentaire de 52 millions de dollars. Dans l'hypothèse où la facture dépasse 70 millions de dollars (10 millions de franchise et 60 millions de couverture assurantielle), ce sont les réassureurs qui prennent le relais avec plusieurs lignes de garantie qui offrent une couverture maximale de plus de 3 milliards de dollars....

 

Ce sont ces assureurs qui devront assumer le retirement du navire si celui-ci est déclaré en perte totale mais également et surtout l'indemnisation des passagers du navire. Et il faut avouer que les choses ne vont pas être simples. Ce sinistre est d'ailleurs une excellente illustration de ce que à quoi aboutit une probable trop grande judiciarisation de nos sociétés avec une multiplicité de règles potentiellement applicables.

 

Il va en effet falloir compter avec de multiples législations et conventions internationales.

 

Pour partir du début, il faudra ainsi tenir compte de la nationalité italienne du navire, ce qui a pour conséquence immédiate que la responsabilité pénale liée aux agissement du capitaine relèvera des tribunaux italiens. En effet la convention internationale du 19 mai 1952 donne un cadre juridique aux abordages. "Au cas d'abordage ou tout autre événement de navigation concernant un navire de mer et qui est de nature à engager la responsabilité pénale ou disciplinaire du capitaine ou de toute autre personne au service du navire, toute poursuite ne pourra être intentée que devant les autorités judiciaires ou administratives de l'État dont le navire portait le pavillon au moment de l'abordage ou de l'événement de navigation."

 

COSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (1)Cette convention internationale a été ratifiée par la France et l'Italie. Le Costa Concordia arbore le pavillon italien. Toutes les plaintes au pénal qui seront déposées seront jugées selon le droit maritime italien. En l'espèce, les plaintes qui sont actuellement déposées par des passagers du navire auprès des autorités judiciaires françaises n'auront que peu de chances d'aboutir. Le parquet français devrait se dessaisir du dossier, éventuellement après une enquête préliminaire au profit des autorités italiennes".

 

Sa présence à terre sans que la totalité des passagers n'aient encore pu être débarqués suscite bien des interrogations. Si en France, ce départ précipité peut s'analyser plus en une faute morale que pénale, le capitaine ayant pour mission et obligation d'assurer l'évacuation du navire, aucun texte n'indiquant expressément que cela doit se faire à bord du navire et que le capitaine doit quitter le navire en dernier, il pourrait ne pas en être de même en Italie (5)

 

La responsabilité civile de Costa Croisières pourra, pour sa part, être jugée par d'autres tribunaux.

 

Il s'agira d'abord de déterminer la qualité juridique de cette croisière. Si la croisière vendue par Costa Croisières est qualifiée de forfait touristique au sens de la directive 90/314/CEE du Conseil européen en date du 13 juin 1990 relatif aux voyages, vacances et circuits à forfait, les passagers pourront alors invoquer les règles prévues par le règlement 44/2001 et le règlement de Rome1 qui vise les contrats conclus par les consommateurs.

 

En vertu de ces règlements, les passagers pourront saisir le tribunal de leur lieu de résidence ou du lieu du siège social de l'armateur. De plus, ils pourront invoquer la loi de leur pays de résidence.

 

Par conséquent, les Français concernés par cet échouement pourront s'adresser auprès du tribunal de leur lieu de résidence et demander que la responsabilité civile de l'armateur puisse être recherchée selon la loi française. La responsabilité de l'organisateur de la croisière est régie par les textes sur le tourisme. D'une part, la directive 90/314/CEE et sa transposition dans les différents États membres, d'autre part, les règles sur le transport maritime de passagers, en France qui est le code des transports.

 

Ces deux textes pré­voient une responsabilité de plein droit de l'organisateur de croisières, qui s'appliquera vraisemblablement dans le cas du Costa-Concordia. Cette responsabilité peut être exonérée selon certaines conditions. L'article 38 de la loi de 1966 sur le transport maritime dispose que «le transporteur est responsable de la mort ou des blessures des voyageurs causées par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout sinistre

majeur, sauf preuve, à sa charge, que l'accident n'est imputable ni à sa faute ni à celle de ses préposés».

 

Si Costa Croisière pourra difficilement s'exonérer de sa responsabilité civile, l'armateur va tenter de limiter son niveau de responsabilité. Ces limitations de responsabilité dans le cadre des croisières sont régies par la convention d'Athènes du 13 décembre 1974 et ses protocoles modificatifs. Elle entrera en vigueur au plus tard en décembre 2012 en même temps que le règlement européen 392/2009 du 23 avril 2009 relatif à la responsabilité des transports de passagers par mer en cas d'accident.

 

Si elle avait vocation à s'appliquer, la limite maximale pour les dommages "corporels" aurait été de 801 500 000 DTS (responsabilité de plein droit) et de 1 282 400 000 DTS (responsabilité maximale). Avec 32 disparus, la limite est de 8 000 000 DTS (32 X 250 000 DTS) et de 12 800 000 au maximum (32 X 400 000 DTS). Cette convention fixe également le "sort" des bagages" en prévoyant une indemnisation de 2 250 DTS pour les bagages de cabine et 3 375 DTS pour les autres bagages.

 

La convention d'Athènes n'a cependant été ratifiée, ni par l'Italie, ni par la France. En l'absence de ratification de cette convention, il faut se tourner vers une autre convention internationale.

 

COSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (4)En France, le code des transports renvoie à la convention de Londres du 19 novembre 1976, modifié par le protocole de 1996. S'agissant des passagers, cette convention limite la responsabilité du transporteur à 175 000 DTS (droits de tirage spéciaux) multipliés par le nombre de passagers que le navire aurait pu embarquer (3780) . Cette convention prévoit aussi une limitation en fonction du tonnage du navire.

 

Cela donne donc une somme maximale de 661 500 000 DTS sachant qu'avec 32 disparus, la somme est ramenée à 5 600 000 DTS (ou environ 6 500 000 EUR). Quant à la limite liée au tonnage du navire, elle est de 33 803 000 DTS pour les créances autres que corporelles (soit environ 38,5 millions d'euros).

 

Cette somme est à comparer avec la limite fixée par le Droit Italien qui devra également être pris en compte.

 

En Italie en effet, ni la convention de Londres ni le protocole additionnel n'ont été ratifiés par l'Italie (contrairement à la France qui a ratifié la convention et le protocole de 1996). C'est donc auprès du droit italien interne qu'il faudra éventuellement chercher les limites à la responsabilité matérielle et corporelle. Et c'est encore auprès de ce droit que les conditions d'exonération de la responsabilité de Costa devront être examinées.

 

C'est ainsi que l'article 275 du Code Maritime Italien devrait trouver vocation à s'appliquer (8). Cet article prévoit que "pour les obligations contractées au cours et aux besoins d'un voyage, et pour les obligations découlant des actes ou des actes commis au cours du même voyage, sauf celles résultant de sa propre faute intentionnelle ou de négligence grave, l'armateur peut limiter sa dette totale à une somme égale à la valeur du navire et la quantité de fret et tout autre revenu du voyage", étant précisé que l'article 276 du même code indique que cette somme ne peut être inférieure à 1/5 ième de la valeur "en bon état" (sound value) et ne peut être supérieure à 2/5ième de cette même valeur "en bon état". Appliqué au cas d'espèce et en prenant en compte la valeur d'assurance du navire, celà donnerait donc une limite comprise entre 80 et 160 millions d'euros, somme supérieure à celle liée au tonnage du navire par la convention de 1976 modifiée (LLMC 1976 PROT 1996) mais inférieure aux limites fixées par les conventions de 1976 et 1974 citées ci-dessus.

 

COSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (9)Les conditions générales de vente de Costa Croisières pourront aussi avoir vocation à s'appliquer pour limiter la responsabilité de l'armateur (9). Seront ainsi potentiellement applicable, concurremment ou exclusivement, les articles 13.1 et 14.2 des conditions de ventes relatifs à la responsabilité du transporteur et aux limites de responsabilité. Sur ce dernier point, les conditions générales renvoient au Code de Navigation Italien (article 275 précité) et aux conventions de Londres de 1976 et de Bruxelles de 1957.

 

Enfin, un dernier sujet doit déjà être abordé à savoir les dispositions du Code du Tourisme relatives à la responsabilité des agences au travers de l' Article L211-16 qui dispose que "Toute personne physique ou morale qui se livre aux opérations mentionnées à l'article L. 211-1 est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ce contrat ait été conclu à distance ou non et que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci et dans la limite des dédommagements prévus par les conventions internationales.

 

Toutefois, elle peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure".

 

A ce jour, plusieurs tentatives de plaintes en nom collectif sont actuellement en cours d'élaboration en Italie : Codacons, une association de consommateurs qui a refusé de signer l'accord annoncé le 27 janvier 2012 par la compagnie Costa, a annoncé l'ouverture prochaine d'une action à Miami, en Floride, contre la société mère, pour réclamer 125 000 euros par passager. Une autre, au nom de passagers américains, demande à Carnival la somme de 460 millions de dollars...(10)

 

A l'inverse, pour Costa, l'important est d'aller vite en proposant des indemnisations forfaitaires, immédiates et sans conditions. Dans un communiqué du 27 janvier 2012 (soit deux semaines après le naufrage), Costa a ainsi proposé 11 000 EUR à l'ensemble des passagers survivants, les blessés et les ayants droits des familles des personnes décédées ou disparues étant exclus de la proposition. A cette somme s'ajoutent les frais..Cette somme est un montant forfaitaire par personne à titre d'indemnités afin de couvrir les dommages matériels et immatériels, incluant la perte des bagages et des effets personnels ainsi que les préjudices psychologiques, le stress et la perte de jouissance des vacances prévues.

 

Costa y ajoute le remboursement intégral du montant de la croisière, taxes portuaires incluses, le remboursement des acheminements aériens et/ou autocar inclus dans la réservation de la croisière, le e remboursement total des frais de voyages engagés pCOSTA CONCORDIA_Grounding_Article_Fortunes_de_Mer-21022012 (10)our l'acheminement au port d'embarquement et le retour au domicile, pour les personnes qui n'ont pas été rapatriées par Costa Croisières, le remboursement des éventuelles dépenses médicales engendrées immédiatement après l'accident et enfin le remboursement des dépenses effectuées à bord pendant la croisière

 

Pour Costa et/ou ses assureurs, cette proposition représente une somme globale d'environ 35 000 000 d'EUR (uniquement pour l'indeminité forfaitaire).

 

La somme peut paraître dérisoire mais elle a le mérite d'être "sure", face à un aléa judiciaire et de décisions judiciaires qui seront longues à venir et couteront aux plaignants de conséquents frais de défense. L'acceptation est d'autant plus souhaitable (à notre avis) que toute idée de "class action" contre la maison mère CARNIVAL doit être abandonnée, ce type d'action étant réservée aux citoyens américains.

 

Il y a en effet peu de chances que la justice américaine accepte des plaintes de citoyens étrangers, dirigées contre la maison mère de Costa : c'est l'armateur (italien) du paquebot qui devrait être directement visé, et ce devant une cour italienne. Dans un cas similaire, en mars 2011, un juge américain avait ainsi refusé de condamner Vivendi à payer aux plaignants étrangers les dédommagements accordés au titre d'une "class action". Le groupe avait été condamné en janvier 2010 par le jury populaire d'une cour fédérale américaine pour avoir dissimulé une crise de liquidité majeure en 2001-2002. Appliquant une règle récente de la Cour suprême des Etats-Unis, le juge avait exclu de la procédure en nom collectif la totalité des actionnaires qui avaient acheté leurs titres Vivendi sur des marchés non-américains.

Il s'agit ici d'éviter le phénomène du 'forum shopping', dans lequel les plaignants essaient de se présenter devant le tribunal le plus favorable, en l'occurrence le plus réputé pour accorder de forts dommages et intérêts".

 

Nos compatriotes auront la consolation d'avoir un peu plus de temps pour réfléchir, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, statuant en référé, leur ayant accordé un délai complémentaire de 3 mois à compter du 14 février 2012 pour donner à Costa leur décision définitive.

 

Au final, que coutera ce sinistre ? Bien malin qui peut le dire à ce jour. Tout dépendra d'abord du navire. Est-il réparable ou non ? Mais quelle que soit la solution, l'ardoise finale sera élevée pour les assureurs et se chiffrera en centaines de millions d'euros (que ce soit la combinaison perte totale / retirement ou sauvetage / réparations).

 

Sur le volet responsabilité, la note pourrait finalement s'avérer moins salée que prévue si la majorité des passagers accepte l'offre de Costa. Pour les cas complexes liés aux morts, disparus ou blessés, il est probable que Costa base ses propositions sur les montants alloués au titre des conventions LLMC ou Athènes. Celà aboutira à plusieurs millions d'euros supplémentaires à a la charge de Costa ou de ses assureurs.

 

S'y ajouteront très probablement des réclamations des autorités italiennes pour les frais engagés et les quelques traces de pollution constatées après le naufrage, d'associations environnementales, des collectivités proches du lieu du naufrage.

 

Enfin, et pour Costa, le coût des pertes d'exploitations estimées à ce jour à USD 93 millions et qui seront supportées par la compagnie, cette dernière n'étant pas assurée pour ce risque.

 

Voila un sujet qui, "si Dieu nous prête vie", devrait nous occuper de nombreuses années.

 

 Nos sources et références pour cet article

 

(1) http://titanic.pagesperso-orange.fr/page156.htm

(2) http://ifm.free.fr/htmlpages/pdf/2009/rapport-gigantisme.pdf 

(3) Voir notamment l'incendie du Diamond Princess en octobre 2002 : http://www.tradewindsnews.com/daily/article190807.ece?service=printArticle 

(4) Article 19 des ITC 1983

(5) http://www.insuranceinsider.com/-1236814/1

(6) Rapport annuel 2011 Carnival 

(7) http://en.wikipedia.org/wiki/Costa_Concordia_disaster#cite_note-AP_2012-01-14-0 

(8) http://www.fog.it/legislaz/cn-0265-0322.htm#291 

(9) http://www.costacroisieres.fr/B2C/F/Before_you_go/term/2012/generalconditions_2012.htm 

(10) http://news.yahoo.com/concordia-passengers-lawsuit-against-costa-cruise-lines-inc-232608636.html 

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