Le titre de l'article du MONDE y va un peu fort en traitant le Maartje Theadora de navire pirate (juridiquement inexact) mais cela constitue à l'évidence une prise exceptionnelle pour les autorités maritimes françaises. Ce chalutier géant battant pavillon allemand est en effet soupçonné de la plus grosse infraction à la législation sur la pêche jamais constatée en France métropolitaine. Dérouté vers le port de Cherbourg, dans la Manche, il attend toujours d'être fixé sur son sort (dimanche 16 décembre).
Le Maartje Theadora, surnommé "l'aspirateur des mers" en raison de ses 141 mètres de long – ce qui en fait l'un des plus gros navires de pêche au monde – fait l'objet d'une enquête judiciaire de la gendarmerie maritime "pour des infractions à la règlementation européenne de la pêche qui tiennent à la fois au mode de pêche et aux espèces qui sont pêchées", explique Ronan Le Saout, directeur adjoint de la direction départementale des territoires et de la mer de la Manche. Le chalutier pélagique industriel a été contrôlé mardi 11 décembre, avec 57 personnes à bord, par le Thémis, patrouilleur des Affaires maritimes, entre 25 et 30 km au large du cap d'Antifer (Seine-Maritime), dans la zone économique exclusive de la France. A son bord, les contrôleurs ont découvert 3 980 tonnes de poisson, dont 2 000 tonnes ne répondaient pas aux normes européennes. En cause : une taille minimale non respectée en raison de filets de pêche non conformes. "Le navire a déclaré dans son journal de bord l'utilisation d'un chalut avec des mailles larges, qui implique, selon la règlementation, de pêcher un minimum de 90 % de maquereaux pour 10 % d'autres prises, détaille Ronan Le Saout.
En réalité, il a aussi utilisé un deuxième filet aux mailles plus étroites, sans le déclarer, ce qui est interdit dans la zone concernée pour éviter de prendre des poissons qui ne sont pas arrivés à maturité." La cargaison comprenait ainsi seulement 17 % de maquereaux, pour 83 % de chinchards, cabillauds et harengs. C'est donc sous escorte que le navire a rejoint le port de Cherbourg mercredi matin, avant d'être consigné au quai de Normandie. Le navire fait désormais l'objet d'une saisie de la part de la Direction départementale de la mer, selon le parquet. Les vérifications sont en cours alors que le commandant doit être entendu par la gendarmerie maritime.
Les infractions à la législation ne sont pas rares en Baie de Seine, dans des eaux poissonneuses appréciées des pêcheurs français mais aussi anglais, belges et néerlandais. Sur les 665 contrôles effectués sur la façade Manche-est/Mer du Nord cette année, 57 ont débouché sur des procès-verbaux, dont 13 impliquant des bateaux étrangers. Quatre déroutements ont par ailleurs été enregistrés par le Centre national de surveillance des pêches. "Cette affaire s'avère toutefois exceptionnelle en raison de la quantité de poissons pêchés en infraction et des montants que cela représente, à savoir deux millions d'euros", précise Ronan Le Saout.
"On voit rarement des bateaux de cette taille-là, qui font de la transformation, dans les eaux communautaires. Ils pêchent plutôt dans les eaux australes et au large de l'Afrique." Deux options s'offrent maintenant à l'armateur allemand Westbank Hochseefischerei GmbH (filiale à 100 % de l'armateur Doggerbank Seefischerei GmbH), dont les avocats négociaient vendredi avec le parquet de Cherbourg.
La première, une procédure courte, implique pour la société de plaider coupable et de s'acquitter d'une amende pénale d'un montant maximal de 22 500 euros ainsi que d'une peine complémentaire – la saisie d'une partie de la cargaison. Le chalutier pourrait alors reprendre la mer rapidement et l'affaire serait close.
Deuxième solution : l'armateur paye une caution conséquente pour permettre le départ du navire, qui pourrait intervenir d'ici une semaine – en sachant que chaque jour passé à Cherbourg lui coûte entre 100 000 et 200 000 euros. La procédure se poursuit ensuite devant le tribunal correctionnel. Si l'armateur gagne, il peut récupérer la somme déposée en garantie. Le sort du chalutier ne devrait pas être fixé avant lundi, selon le procureur de la République de Cherbourg, Eric Bouillard. "Un juge des libertés devrait statuer dans les jours à venir sur le sort du bateau, sur le montant du cautionnement, la confiscation de la marchandise ou du bateau", explique M. Bouillard, interrogé par l'AFP.
Doggerbank Seefischerei GmbH a pour l'instant rejeté les accusations des autorités maritimes. "L'enquête a lieu en raison d'une faute dans le journal de bord sur la taille des mailles du filet de pêche utilisé par le chalutier", a déclaré la société à l'AFP. Ce n'est pourtant pas la première fois que le Maartje Theadora fait l'objet de soupçons. En mars, des militants de Greenpeace avaient déjà stoppé le navire dans les eaux mauritaniennes pour l'empêcher de remonter ses prises quotidiennes estimées à des centaines de milliers de kilos de poissons. "Ce navire est emblématique de la surcapacité, l'obésité de la pêche européenne : la flotte possède trop de bateaux, trop puissants, par rapport à ce que peut fournir la mer", estime François Chartier, chargé de campagne Océans pour l'ONG, dans un communiqué.
Mise à jour du 19 décembre 2012
Il a préféré plaider coupable, payer et repartir le plus vite possible. Hier, devant le tribunal de Cherbourg, le patron du chalutier Maartje Theadora – appréhendé par les Affaires maritimes la semaine dernière au large du cap d'Antifer et dérouté à Cherbourg - a reconnu les faits qui lui étaient reprochés dans le cadre d'une comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité. Ce « plaider coupable » a donc permis au tribunal d'entrer directement en voie de condamnation et d'infliger une amende de 595.000 euros à Westbank Hochseefischerei, l'armement du chalutier industriel. Cette condamnation a immédiatement levé la décision du juge des libertés qui avait fixé lundi à 1.2 million d'euros la caution à payer pour laisser repartir le bateau. L'amende aurait d'ailleurs déjà été payée. Le tribunal a, de plus, condamné l'armement à payer 15.000 euros de dommages-intérêts au comité régional des pêches de Basse Normandie, qui s'était porté partie civile.
Pour mémoire, sur les 4000 tonnes de poissons congelés qui se trouvaient à bord du Maartje Theadora lors du contrôle des Affaires maritimes, 1585 tonnes ont été pêchées de façon non conforme à la réglementation. « Parti pour pêcher du maquereau, il a changé de filet en cours de route pour pêcher du chinchard. Or vous n'avez pas le droit de changer sur une même campagne de pêche », a expliqué le procureur de la République de Cherbourg, Eric Bouillard, en marge de l'audience. Selon l'avocat de l'armateur, le capitaine était de « bonne foi » et n'était pas au courant qu'il n'avait pas le droit de changer de filet. Il a également fait valoir que son client avait perdu «1.065 million d'euros» en six jours d'immobilisation du bateau.
Le PDG du groupe néerlandais Parlevliet & Van Der Plas, maison-mère de l'armement du Maartje Theadora, Diederik Parlevliet, s'est dit « pas du tout satisfait » de cette condamnation pour infraction, qu'il a qualifiée de « petite erreur administrative ». Le chalutier devait réappareiller dans les heures suivant le jugement.
Les décisions de ce tribunal sont rares et surtout celles concernant un problème de saisie d'un navire d'Etat. Ainsi, dans une décision disponible sur son site internet, le Tribunal international du droit de la Mer (TIBM), qui siège à Hambourg (Allemagne), a demandé ce samedi 15 décembre que les autorités ghanéennes libèrent "immédiatement" la frégate argentine Libertad, retenue depuis le 2 octobre dans le port de Tema au Ghana.
"Le TIBM demande aux autorités du Ghana qu'elles libèrent immédiatement la frégate Libertad et qu'elles l'approvionnent pour qu'elle puisse quitter Tema" (à l'est d'Accra), a indiqué le président du tribunal, le Japonais Shunji Yanai.
Buenos Aires a réclamé vendredi devant le tribunal la libération immédiate, au nom de l'immunité, du navire-école de la marine de guerre argentine, qui avait mouillé à Tema (à 25 km de la capitale Accra), mais n'avait pu en repartir le 2 octobre sur une décision de la justice du Ghana. Celle-ci a été saisie par un fonds spéculatif international qui réclame le paiement de reliquat de dettes à l'Etat argentin.
Le Ghana a, au contraire, demandé le rejet de la plainte de l'Argentine, et que ce pays soit condamné à payer les frais du procès, en plaidant l'incompétence du tribunal. Selon Accra, il n'y a ni urgence pour l'équipage ni dommages irréparables pour les Argentins. Les représentants ghanéens ont estimé que le TIDM était incompétent pour juger d'un "différend commercial privé" : le Tribunal doit rejeter la mesure préventive de l'Argentine, ont-ils dit, en arguant que le bateau n'avait pas d'immunité car Buenos Aires avait émis des bons du Trésor en 1994 conformément à un contrat de "Fiscal Agency agreement" de droit new-yorkais.
En fait, les Argentins "savaient en mai 2012 qu'il existait des risques de saisie du bateau, ce que ne savait pas le Ghana", a assuré l'avocat ghanéen Philippe Sands, en brandissant une lettre du ministère des affaires étrangères de cette date. La délégation argentine a de son côté affirmé vendredi matin que les bateaux de guerre bénéficient de l'immunité au titre de l'article 32 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982.
C'est une plainte du fonds d'investissement NML Capital Limited qui est à l'origine de la détention du Libertad par les autorités ghanéennes. Ce fonds, qui a son siège aux Iles Caïman, un paradis fiscal, réclame plus de 370 millions de dollars (283 millions d'euros) à l'Argentine après avoir refusé des offres d'échange de titres de dette à deux reprises, en 2005 et 2010.