L'union de ce qui avait pu apparaître comme celle de la carpe et du lapin entre CHEGARAY-DE-CHALUS et GROUPAMA aurait sans doute pu durer si la crise des dettes souveraines que nous connaissons encore aujourd'hui n'avait pas durement frappé la maison mère, GROUPAMA SA, à un point tel que le groupe ne se soit plusieurs fois trouvé au bord du précipice, rattrapé "par les dents" par le gouvernement français, notamment via l'intervention in-extremis de la Caisse des Dépôts et Consignations. La soudaine détérioration des comptes, assortie d'une dégradation tout aussi rapide et brutale de son "rating" par les agences de notation, et notamment par la plus célèbre d'entre elles, Standard & Poors, aura raison de ce mariage scellé en 1999.
Or, dans le monde de l'assurance maritime, et notamment lorsque l'on souscrit des risques internationaux (principalement sur les corps de navires), l'évolution de la notation des agences a un vrai sens et peut impacter directement et parfois rapidement l'activité des compagnies d'assurances opérant dans ce secteur. Il est désormais courant de voir les armateurs (eux-mêmes obligés par les banques auxquelles ils ont emprunté pour financer la construction ou l'achat de navires) imposer aux assureurs couvrant leurs risques une notation minimum délivrée par une agence de notation de renom (S&P, Fitch), et idéalement un A ou plus. L'objet de cette "condition d'assurance" étant d'être notamment sûr que les assureurs fassent face à leurs engagements en cas de sinistre et surtout en cas de perte totale de l'objet assuré et financé.
Pendant de nombreuses années, Groupama-Transport a bénéficié de la notation A+ de "Groupama SA". Il n'y avait donc aucun problème. Les conditions imposées par les assurés à leurs assureurs étaient remplies. Mais la situation commence à se compliquer dès le début de l'année 2010 avec la mise sous surveillance négative de GROUPAMA SA avec en perspective une dégradation de sa note, laquelle intervient en mai 2011 lorsque S&P annonce qu'elle dégrade d'un cran la note de la dette long terme de Groupama, justifiant sa décision par l'exposition de Groupama aux obligations émises par le gouvernement grec. La note passe ainsi de A à BBB+ (NdR : Notation de Navigation & Transports lors de son rachat par GROUPAMA en 1999 et notation actuelle du Swedish Club).
Pour une entreprise comme GROUPAMA-TRANSPORT, celà signifie la perte à effet quasi immédiat des contrats dans lesquels l'assuré impose cette notation A, comme ceux couvrant les grands croisièristes, les grands armateurs de porte-conteneurs ou ceux ayant eux-mêmes des engagements à tenir vis à vis de leurs propres établissements bancaires.
GROUPAMA ne gardera pas longtemps cette note puisqu'à la fin septembre 2011, S&P abaisse à nouveau la note d'un cran à BBB, justifiant cette décision par le niveau des fonds propres de l'assureur, qu'elle ne juge pas conforme à une note « BBB+ ». L'assureur français n'est alors plus qu'à deux crans de la catégorie dite spéculative. Le 12 décembre 2011, S&P abaisse encore d'un cran la note de GROUPAMA, de "BBB" à "BBB-", tout en la maintenant sous surveillance négative. L'agence prend cette décision malgré l'annonce d'un rapprochement entre la foncière Silic, contrôlée à 44 % par Groupama, et Icade, foncière de la Caisse des dépôts (CDC), assortie de l'injection de 300 millions d'euros dans le courtier Gan Eurocourtage, filiale de Groupama.
Celà ne suffira pas et la longue descente se poursuit. Le 25 juin 2012, Standard and Poor's abaisse de deux crans, de "BBB –" à "BB", la note de Groupama, ce qui place désormais l'assureur mutualiste en catégorie dite "spéculative". L'agence salue quand même au passage les mesures prises par Groupama pour renforcer sa solidité financière, mais elle estime qu'elles "ne devraient pas ramener les fonds propres à des niveaux compatibles avec une note de catégorie investissement ("BBB –" et au-dessus) dans l'année qui vient". Standard and Poor's a assorti la note d'une perspective négative, qui reflète sa vision selon laquelle "les conditions économiques et de marché défavorables pourraient placer encore davantage sous contrainte les fonds propres et les mesures de transformation" entreprises par Groupama.
Pour GROUPAMA, et dans la mesure ou toute restauration du A est inenvisageable à court terme, la seule solution à même de "sauver les meubles" est de vendre des actifs. Pour GROUPAMA TRANSPORT, alors en pleine fusion avec GAN-EUROCOURTAGE, cette vente est vitale et doit intervenir au plus vite, faute de quoi il n'y aura bientôt plus grand chose à vendre, la dégradation de la notation pouvant rendre frileux les apporteurs d'affaire et faisant fuir ceux déjà en portefeuille (ceux pour qui la notation A constitue une condition essentielle et impérative de l'octroi d'une part d'assurance sur leurs navires ou marchandises). Cette perspective, évoquée dès novembre 2011 dans la presse, est officielle en janvier 2012. Pour GAN-EUROCOURTAGE (canaux historiques), ce sera finalement ALLIANZ qui emportera la mise, mais sans le périmètre "transport".
Alors que le destin de Groupama Transport était encore incertain, un repreneur potentiel se révèle officiellement en juillet 2012. Il s'agit de Helvetia qui rentre en négociation exclusive avec GROUPAMA pour "le transfert du portefeuille maritime souscrit en France de Gan Eurocourtage". Ce projet, présenté au Comité Central d'Entreprise, ne fait pas l'objet d'une opposition de la part des syndicats. Si la CGT s'est exprimé défavorablement à cette cession à la compagnie suisse, la CFDT et la CFE-CGC ont préféré rendre un avis d'abstention, estimant que même si la cession comportait de nombreuses zones d'ombres, et notamment sur l'emploi, les implantations et le redéploiement dans les lignes métiers, la priorité absolue, était de sauver le business, d'autant que le temps pressait avec de grosses vagues de renouvellements de contrats et des dizaines de millions d'euros en jeu. L'absence d'avis (positif ou négatif) des élus du CCE aurait bloqué la procédure de cession.
Le 17 juillet 2012, GROUPAMA annonce officiellement le transfert du portefeuille d'activité maritime souscrit par les entités françaises de Gan Eurocourtage, représentant un chiffre d'affaires en 2011 de 166 millions d'euros. Dans le cadre de cette opération, Helvetia paiera à Gan Eurocourtage un montant de 38,5 millions d'euros au titre du portefeuille transféré. Ce montant n'inclut pas les fonds propres et sera susceptible d'être ajusté en fonction des comptes au 30 septembre 2012. Environ 240 personnes de Gan Eurocourtage intégreront les équipes d'Helvetia Assurance SA.
Le processus de reprise des activités de l'entité havraise Groupama Transport est désormais entré dans sa phase concrète. Le dossier peut être officiellement transmis aux autorités françaises et européennes qui donnent leur feu vert à la mi-novembre 2012 sur les aspects financiers, prudentiels et concurrentiels en concluant que l'opération envisagée ne poserait pas de problème de concurrence en Europe, car elle "n'altèrerait pas significativement la structure du marché" où les deux compagnies ont "des concurrents solides".
La reprise du portefeuille de la société Groupama Transport porte à environ 230 millions d'euros le portefeuille existant d'Helvetia France, ce qui le multiplie environ par trois. Grâce à cette acquisition, Helvetia France se positionne désormais en tant numéro deux, après avoir été le numéro cinq sur le marché français de l'assurance transport.
Son Directeur, Alain Tintelin, qui dirige Helvetia France depuis 1993, aidera la société à traverser la première phase d'intégration. Vincent Letac, CEO de Groupama Transport, nommé Deputy CEO au sein du Comité de direction d'Helvetia France au 1er décembre 2012, assurera sa succession le 1er juillet 2013.
Au Havre et dans les succursales françaises, les salariés s'apprêtent donc à passer dans le giron de l'assureur suisse dont la création remonte à 1858, qui emploie 4.900 personnes dans le monde, et qui a réalisé en 2011 un chiffre d'affaires de 7,2 milliards de francs suisses (environ 4,6 milliards d'euros). Un changement d'époque mais aussi de dimension pour les quelque 300 personnes concernées.
Une nouvelle page de l'histoire de cette entreprise va donc s'ouvrir. Que de chemin parcouru depuis la création en 1890 par Antonio CHEGARAY, originaire du Pays Basque, d'une agence maritime d'assurance au Havre. Son fils Pierre reprendra l'affaire, la développe et créera un cabinet à Paris. En 1942, c'est la création de la compagnie d'assurance NAVIGATION & TRANSPORTS dont CHEGARAY sera de longues années l'agent général exclusif.
La mort en 1951 de Pierre CHEGARAY voit son fils Noël reprendre le cabinet de Paris, son fils Yves celui du Havre et son gendre Paul de CHALUS s'occupant alors de la partie financière.
Vianney de CHALUS (neveu de Yves) rejoint l'entreprise en 1982. C'est sous sa direction (et celle de sa femme Natalie) qu'en 1998 CHEGARAY s'adosse à au groupe mutualiste GROUPAMA, alors en pleine forme financière, et ayant trouvé dans le groupe CHEGARAY-DE-CHALUS et NAVIGATION & TRANSPORTS, une belle opportunité de rentrer sur le marché de l'assurance transport. L'entreprise mute alors rapidement. GROUPAMA prend le contrôle de la compagnie NAVIGATION & TRANSPORTS qui devient GROUPAMA NAVIGATION & TRANSPORTS avant la fusion en 2000 de la compagnie GROUPAMA NAVIGATION & TRANSPORTS avec l'agent CHEGARAY. L'entreprise porte désormais le nom de GROUPAMA TRANSPORT dont les implantations vont se multiplier, en France et à l'étranger durant près de 10 ans (Le havre, Paris, Nantes, Marseille, Bordeaux, Lyon, et Lille, Londres, Hong Kong, Chengdu, Riga, Strasbourg, Singapour, La Réunion, Milan, Montréal)
Son portefeuille s'étoffe également en 2001 et 2002 par l'adjonction des portefeuilles maritime et transport de GAN INCENDIE ACCIDENT et de GAN GAN EUROCOURTAGE COURCELLES (ex CGU), entreprises acquises par GROUPAMA dans le cadre de sa stratégie de développement.
En 2009, GROUPAMA-TRANSPORT quitte son siège havrais du 1 Quai George V pour intégrer un nouvel immeuble à quelques centaines de mètres du précédent, au mode de fonctionnement plus adapté que ne l'était l'ancien "hôtel de Normandie".
Au 31 décembre 2011, Groupama Transport et Gan Eurocourtage fusionnent. Le Groupe Gan Eurocourtage conserve les deux marques commerciales mais cette fusion ne se fera finalement pas puisque GAN EUROCOURTAGE est absorbé par ALLIANZ et GROUPAMA TRANSPORT par HELVETIA.
L'histoire de l'entreprise s'est ainsi accélérée en quelques mois et après l'assureur des agriculteurs et son logo vert à la petite église, voici celui des montagnes suisses. Peu d'assureurs maritimes auront eu des logos aussi peu en rapport avec la mer....
Mais finalement qu'importe. L'important n'est pas là car au delà de cette absence de relation à la mer qu'ils ont en commun, les deux groupes semblent également partager une politique de constance lorsqu'il s'agit d'investir. Pas de "raid" ou de "coup", l'investissement n'étant que l'aboutissement de la mise en œuvre d'une politique murement réfléchie. Dans le cas de GROUPAMA-TRANSPORT, il ne faut cependant pas nier l'effet d'aubaine mais le transport n'était pas un secteur inconnu d'HELVETIA qui au delà du transport terrestre, des marchandises transportées, "tâtait" aussi depuis plusieurs années à ce qui constitue le socle historique de GROUPAMA-TRANSPORT, l'assurance "corps de navires".
Pour notre part, nous espérons qu'HELVETIA poursuivra l'aventure commencée au Havre il y a plus de 120 ans, dans l'ensemble des secteurs d'activité dont la compagnie vient de faire l'acquisition et notamment les corps maritimes.
Même si ce secteur reste le plus risqué et le plus exposé, de part les montants à assurer et par l'empleur des sinistres, il demeure également le plus prestigieux et constitue la plus belle des cartes de visites pour les compagnies qui veulent se "frotter" à l'asurance transport (à notre avis).
Sur un plan plus personnel, je ne suis bien évidemment pas neutre face aux nouveaux défis qui s'annoncent pour l'entreprise et son personnel, en y ayant travaillé pendant près de dix ans et en y ayant encore des connaissances et des ami(e)s.
Nulle entreprise n'est parfaite mais j'y ai beaucoup appris, géré de beaux dossiers, rencontré de belles personnes qui ont pris le temps de transmettre leur savoir et de m'apprendre leur métier ou tout simplement d'être de bons camarades sur le banc de nage, sont parfois même devenus des amis et des proches (ChV, AJ, LM, SP, AG, JB, ThB, JeL, JPL, OdH, XL, VMP, MiB, JL, DBlf, et j'en oublie) avec tous les souvenirs que celà emporte (avec une mention particuliere pour les colères froides de certains et certaines (j'en frissonne encore) lorsque le travail rendu n'était pas à la hauteur du niveau d'exigence attendu....).
Voila, en espérant "beau temps, belle mer" à Helvetia Transport et à tous ses collaborateurs.