Le 16 décembre, le TK Bremen s'échouait à Erdeven(56). Hier, le Bureau d'enquêtes sur les événements de mer (BEA Mer) a rendu son rapport. Il met en cause le mauvais temps, la mauvaise gestion du mouillage par le commandant et émet des préconisations. Et il est fort intéressant, d'autant qu'il conforte les positions adoptées sur ce site dans nos articles du 23 décembre 2011 et du 19 janvier 2012.
Dans son rapport, le BEAMer revient, tout d'abord, sur la chronologie de l'échouement. À11h, le 15 décembre 2011, le TK Bremen quitte le port de Lorient. Les prévisions météorologiques sont très mauvaises pour la soirée et il mouille sous Groix, pour attendre une accalmie. En fin d'après-midi, le vent fraîchit et le TK Bremen, lège, commence à dériver mais n'utilise pas suffisammnent sa machine pour tenir le mouillage. Sorti de l'abri relatif de Groix, le commandant décide de se repositionner. Le navire ne parvient cependant pas à remonter au vent pour gagner un nouveau mouillage abrité
Jusqu'à minuit, le commandant ne fait part d'aucune inquiétude. C'est à ce moment qu'il évoque, pour la première fois, un remorquage avec son armateur, qui lui intime l'ordre de tenir son mouillage. Devant l'insistance du commandant, l'armateur finit, à 0h36, par donner son accord mais Le Scorff, remorqueur de Lorient, ne peut appareiller. Il est, en effet, d'astreinte de sécurité au port en raison de la présence, à quai, d'un pétrolier et les conditions climatiques mettent potentiellement en danger l'équipage (Force 11). À 2h01, le TK Bremen s'échoue sur la plage de Kerminihy, à Erdeven.
Pour le BEA, «la décision de quitter Lorient ne peut être retenue comme facteur contributif, même s'il est évident que le fait de différer l'appareillage aurait évité l'accident». Selon le rapport, l'autorité portuaire de Lorient n'était pas en mesure d'interdire l'appareillage du cargo, dans la mesure où les conditions météo, «au moment de l'appareillage», permettaient la sortie du navire sans «risque pour la sécurité des ouvrages» du port. De plus, l'interdiction d'appareiller ne peut se faire qu'après visite du navire par le centre de sécurité des navires (article L 5241-5 du Code des Transports et R 304-11 du Code des Ports Maritimes). Les conditions météorologiques «très difficiles» constituent «le premier facteur déterminant de l'événement» (ce qui pour le coup n'est de la faute de personne...). Mais le BEA impute aussi une responsabilité au commandant qui n'a pas su maîtriser son mouillage: «L'insuffisance d'utilisation de la machine et le fait de ne pas mouiller immédiatement la deuxième ancre constituent le second facteur déterminant». Autrement dit, la capitaine a commis une erreur (certains diront une faute) dans la conduite des opérations de mouillage et des conséquences à tirer du fait que son navire ne tenait pas ledit mouillage.
Au delà des facteurs déterminants et/ou ayant participé au naufrage, il faut également, par effet de miroir, regarder les facteurs qui n'ont PAS contribué au naufrage. Le premier d'entre eux est le navire lui même et dont le rapport souligne qu'il ne peut rien lui être véritablement reproché ; Ses organes et apparaux sont en bon état et tout l'équipement imposé par les règlementations internationales sont à bord. Tout au plus le rapport constate que le navire a l'âge de ses artères et que certaines pièces sont usées comme les apparaux de mouillage mais que celà ne constitue pas un facteur contributif au naufrage. Le BEA Mer constate également que le navire, ayant fait l'objet de plusieurs contrôles au titre du Port State Contrôle (19 fois entre 1999 et la date du naufrage), sans détention, et que la dernière qui portait sur la stabilité et la structure n'a fait l'objet d'aucun relevé de déficiences. Du côté de l'armateur, le BEA Mer ne relève rien non plus, le navire étant propriété d'une "double ship compagnie" et est géré par une société qui gère 24 navires construits entre 1981 et 2011.
Enfin, l'équipage est expérimenté. Le capitaine, âgé de 49 ans, exerce le métier de marin depuis 34 ans et son second navigue depuis 10 ans. Le reste de l'équipage (17 personnes), est largement supérieur à la décision d'effectif minimale fixée à 12 hommes. Il n'y a qu'une langue de travail à bord (le turc), ce qui constitue en soi plutôt un indice favorable, tant l'effet "tour de Babel" pouvant effectivement participer à la survenance d'un naufrage, tout homme étant tenté, dans des situations extrêmes ou de danger, de reprendre sa langue maternelle.
Celà va mieux en le disant et permet de s'affranchir du cliché de l'armateur "véreux" ayant son siège dans un obscur bureau du Pirée et dont le patron gère ses navires dans des volutes de fumée de cigare, avec un grand coffre derrière le bureau (un Rastapapoulos en puissance...).
Alors finalement, que retenir de ce rapport finalement très nuancé et dont les recommandations sont finalement assez limitées. En conclusion, le BEA recommande à l'administration chargée de la réglementation portuaire, «en cas de conditions météorologiques exceptionnellement défavorables», «la notification au capitaine, par l'autorité portuaire, de la situation météorologique et des conditions locales», «l'information du port par le capitaine sur les raisons d'un départ en dépit des conditions prévues».
Rien de révolutionnaire car on notera avec attention que la préconisation du BEA n'est pas d'interdire formellement appareillage des navires, mais uniquement d'en informer officiellement le navire et l'obligation en parallèle du capitaine de motiver son départ en dépit des conditions météorologiques (autrement dit, confier à l'Autorité Portuaire et à la Capitainerie un contrôle d'opportunité sur le départ de tel ou tel navire, ce qui peut promettre de très beaux contentieux entre les armateurs, l'Etat et les Autorités Portuaires).
En outre, le BEA demande «d'encadrer la zone de mouillage d'attente de Lorient: délimitation, statut, surveillance et intervention...». Entre les lignes, on peut lire que le BEA regrette quand même que le CROSS ne se soit pas ému des mouvement répétés du navire pendant plusieurs heures, signe non pas de manœuvres délibéres mais d'une situation de moins en moins maîtrisée par le commandant du navire.
Le rapport est par contre relativement muet sur le service du remorquage à Lorient. Tout en soulignant que le port dispose de quatre remorqueurs, le rapport indique qu'un seul était armé en astreinte (en raison du mauvais temps) ; Quid des trois autres et surtout de leurs possibilités, vu leur age et leurs forces de tractions (31 tonnes nominale à la construction en 1986 pour le SCORFF) de remorquer un navire comme le TK BREMEN (lège et qui ne tient pas son mouillage dans la tempête).
Si le cargo a aujourd'hui disparu, la procédure judiciaire suit son cours. Le parquet de Brest a ouvert une information judiciaire pour «pollution par hydrocarbures consécutive à une faute caractérisée de navigation ayant conduit à l'échouement du navire». Le commandant a été placé sous le statut de témoin assisté.
En résumé, ce rapport conforte notre avis sur cet évènement qui ne peut être comparé à celui de l'ERIKA et qu'il n'y pas lieu de jeter l'opprobre sur l'armateur, le navire, et l'équipage. Oui, il y a eu des erreurs de commises, mais cela s'apparente à une véritable "fortune de mer". Les éléments ont eu raison du navire, sans pour celà qu'il puisse être mis en cause l'origine du navire, son mode d'exploitation, son équipage, et son armateur.
De telles fortunes de mer se sont produites et se produisent encore ; Elles sont aussi les résultantes d'un trafic maritime sans cesse croissant et d'un besoin insatiable de biens de nos sociétés. Il faut aussi en avoir conscience.
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